La boma Olerien
Voici le récit de mon premier contact avec un village Maasai, c’était très court, à peine une heure, et c’est ce que proposent bon nombre d’agences. Aujourd’hui avec Tumbili nous privilégions la durée, pas de visite éclair d’une heure, on y passe au moins la nuit.
Au milieu d’une plaine sèche, avec les montagnes en fond, se dresse une palissade épineuse qui entoure le village ou « boma ». Ally descend de la jeep en premier pour aller saluer les responsables du village et négocier le prix de la visite. Il y a un petit remue-ménage, car les femmes vont chercher les costumes d’apparat et les bijoux, pour nous accueillir comme il se doit. La plupart des hommes sont en train de faire paître les troupeaux assez loin dans la plaine, mais quelques vieillards et jeunes garçons se joignent aux femmes qui se placent en ligne. Je filme alors que les deux allemandes que j’accompagne sont happées dans le rang par une vieille dame. Les chants s’élèvent, mélodie nasale en langue Maa, rythmée par les sons gutturaux des hommes. Les femmes secouent leurs larges colliers de perles d’un mouvement circulaire des épaules et quelques hommes s’essaient en rigolant à des sauts caractéristiques de leur ethnie.
On me demande souvent si tout ça n’est pas du folklore pour touristes. On veut aller dans des endroits « authentiques ».
Ce à quoi je réponds:
-que c’est bien du folklore au sens premier du terme, soit des traditions et croyances ancestrales populaires transmises d’une génération à l’autre.
-qu’on est bien des touristes au sens premier du terme, soit des gens qui voyagent pour leur agrément, ce qui n’empêche de s’intéresser et respecter la culture locale.
– que ces endroits sont authentiques, c’est à dire qu’ils vivent avec leur temps et face à la possibilité de gagner un peu leur vie avec le tourisme, ils accueillent de temps en temps des Wazungus (Blancs) en quête d’aventure.
Maintenant c’est vrai qu’il existe un village très célèbre qui a été déplacé sur la route des Parcs pour faciliter l’accès des touristes, et devant cette boma, il y a souvent une dizaine, une vingtaine de 4×4 garés… Là, nous, on n’y va pas. On travaille avec deux villages bien choisis, un peu cachés, et on ne leur rend pas visite tous les jours: la boma Olerien et la boma de Laiza.
Il faut juste, quand on voyage, s’assurer qu’on respecte la culture, l’ecosystème, un mode de voyage doux, le développement durable, enfin ça me paraît évident mais ça ne l’est pas toujours. Qui avant de partir, s’interroge sur l’impact du tourisme à l’endroit où il va?
Les Maasaïs de la boma Olerien restent pour la plupart des pasteurs mais certains jeunes vont à l’école, et poursuivent en grandissant un parcours scolaire à Mto wa Mbu, où ils ont accès au monde moderne. Ne vous offusquez donc pas si un Maasaï du village vous demande votre Facebook!
De nombreux Maasaïs vivent en ville de nos jours, mais beaucoup subissent le chômage. Ceux qui sont employés pour la sécurité des hotels de Zanzibar s’en sortent bien.
Pourquoi ont-ils quitté leur vie de pastoralisme? Pas de gaité de cœur. D’abord créer des réserves naturelles au Kenya les a chassés de leurs terres ancestrales, eux qui n’ont pas de notion de frontière se sont fait déposséder de leurs seuls biens et ont migré en masse vers le sud, c’est à dire la Tanzanie.
Oui les parcs étaient nécessaires pour protéger la biodiversité
Non on n’a pas pensé à l’époque à intégrer les tribus dans le programme
Oui depuis on a redonné des terres aux Maasaïs, ailleurs.
Non elles n’étaient pas libres, on les a prises à d’autres.
La réalité des Maasais aujourd’hui est multiple, selon l’emplacement du village. Ceux qui vivent près du volcan Lengai n’ont pas la même vie que ceux de la steppe au sud d’Arusha.
Alors, aller voir les Maasaïs et cultiver un tourisme voyeur ? Ne pas y aller, ne pas acheter leurs bijoux, ne plus apporter l’argent du tourisme et les laisser sans aide?Enfin, c’est aussi leur choix de montrer leur vie aux voyageurs, de quel droit on va boycotter ça? Sommes nous les gardiens de la morale universelle?
Je pense que la gangrène du voyageur, c’est sa culpabilité post coloniale. Je pense qu’il faut réfléchir son voyage, comme un acte responsable et aux conséquences multiples. Privilégier les conséquences positives!
Les gouvernements ont aussi essayé de les sédentariser, mais ce n’est pas un peuple d’agriculteurs… Puis par dessus tout ils ont subi de grandes sécheresses et le manque d’eau a fait périr leurs troupeaux. Aujourd’hui au Ngorongoro, d’autres menaces pèsent sur ce peuple: on les expulse maintenant pour délimiter des réserves de chasse, soit pour quelques millionnaires en quête de trophées de lions, comme aux temps coloniaux, eh oui. Vous pouvez signer une pétition ici avec Avaaz adressée au président tanzanien Kikwete.
Après les chants, un homme nous emmène faire le tour du village et nous visitons une hutte. L’intérieur est très sombre, seules de toutes petites ouvertures laissent passer le jour.
La hutte est construite en bouse de zebu séchée sur des armatures de bois. Elle est composée d’une pièce pour le foyer et les nattes de couchage, une pour les bêtes, une pour parler avec les invités.
Entre temps, les femmes ont installé des tréteaux et disposé sur des nattes les bijoux qu’elles vendent. J’en prends quelques uns, consciente qu’elles comptent beaucoup là-dessus et j’ai envie de leur faire plaisir.
C’est incroyable, elles ont TOUT sorti, alors que nous ne sommes que trois jeunes clientes potentielles. Elles sont très gentilles et souriantes, je ne sens pas l’angoisse de ne pas vendre comme cela arrive parfois. Elles baissent les prix volontiers. Alors on achète volontiers. 4000Tsh le bracelet en cuivre, soit moins de 2 euros. Tous ces visages magnifiques me donneraient envie de tout acheter.
Avant de partir, je tire quelques portraits des jeunes guerriers et des enfants. Quand je reviendrai, je leur apporterai les clichés développés.
Allez, kwa heri les enfants. Mais il joue avec quoi ce petiot-là? Ah oui, c’est bien un long couteau… soupir… on ne vit pas dans le même monde, c’est sûr.
Depuis ma rencontre avec les Maasaïs, j’ai appris que des villages commencent à abolir le rite de l’excision pour le passage à l’âge adulte des femmes, et je m’en réjouis. Il y a un village dans la région de Monduli, qui remplace cet acte barbare par une petite entaille symbolique sur les cuisses, et les femmes sont très heureuses d’avoir une meilleure vie sexuelle! Ce village là est réputé maintenant, et soutenu par une NGO.
Un documentaire sur le sujet: http://milatu.over-blog.com/