J15: Shira – Barranco Camp

Haut les coeurs

Ce matin le ciel est d’un bleu magnifique, et mon ventre me laisse en paix. Du camp, on voit au loin la silhouette du sommet du Mont Meru dépasser d’une mer de nuages.

Au loin le Meru qui surplombe Arusha

Au loin le Meru qui surplombe Arusha

Je n’ai pas dîné hier soir, malgré les invectives de mon cuisinier. Par conséquent, je me jette sur le petit déjeuner avec appétit. Mais aux premières bouchées, quelque chose cloche. Rien n’a de goût, les fruits se ressemblent tous et les œufs sont du carton pâte dans ma bouche. D’ailleurs après une minute de mastication je suis écœurée. La cuisine de mon équipe n’est pas à remettre en cause, c’est ma bouche qui dysfonctionne. Un thé fera l’affaire.

En 2009 j’ai eu la grippe aviaire et comme conséquence une perte de l’odorat provisoire. J’ai lu que la perte de ce sens, et donc du goût en même temps, pouvait rendre gravement dépressif! Après le trek, j’apprendrai que c’est un symptôme rare du mal des montagnes. Tout bien réfléchi, c’est mieux que ces terribles migraines et ce manque de souffle dont j’ai entendu parler.

On s’est mis en marche au même rythme qu’hier et que demain; pole pole, mara kwa mara (doucement, tout droit). Johnson chantonne. En voilà une bonne idée. Pour oublier les kilomètres, rien de tel que le chant. Après s’être fait prier une bonne dizaine de minutes, il entreprend de m’apprendre une berceuse swahilie. Elle évoque la douceur du soleil, l’éclat des étoiles et les bienfaits de la pluie, mais qui ne sont rien comparés à l’amour d’une maman. Si maman me voyait, elle se fâcherait contre Johnson, Ally ou tout autre individu à proximité et m’ordonnerait de redescendre tout de suite me reposer.

Le paysage est lunaire. Il n’y a plus un végétal. Je demande une pause et mon guide me l’accorde volontiers. Soudain cette femme surgit. Cette femme que j’ai déjà vue hier. Elle a une particularité étrange: elle ne cesse pas de sourire.

attention...

attention…

Elle me ravit et m’énerve, je l’admire et je la déteste, elle est magnifique et désolante dans ce décor hostile et grandiose.

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et bam! Elle sourit.

 Moi aussi je voudrais en être capable, être en forme, profiter de ma chance, me délecter de l’effort!

Et je ne me pardonne pas d’être une aussi petite joueuse.

Johnson me dit « Souris toi aussi! Je te prends en photo! »

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J’aime les cailloux.

Navrant, n’est-ce pas? On se remet en route. Johnson m’explique la Lava Tower qu’on voit depuis un moment au loin et où l’on se dirige.DSC_0154

« On est partis du camp à 3840m, et là on va s’arrêter à 4600m. C’est le moment capital pour une bonne acclimatation, on risque d’avoir mal à la tête, mais il faut y rester au moins une demi heure. On en profitera pour déjeuner. DSC_0151

Ensuite on redescend au camp pour passer la nuit à 3900m. Sawa?

– Sawa. »

Il fait 10 degrés, il est midi, j’ai déjà envie de me coucher. Mais ça va, parce que je réalise par à coups ce que je suis en train de faire. On est en Afrique. Au plus haut de l’Afrique.

Promenade botanique

En contrebas, on entend le babil continu d’un ruisseau. La végétation réapparaît: lobelias, lichens et les premiers séneçons géants. C’est un drôle de paysage, et mon esprit se remémore des scènes verniennes fanstasmagoriques. Tout comme dans Voyage au centre de la Terre, je ne serais pas surprise de rencontrer un hydre écailleux au détour d’un champignon géant.

Séneçons géant

Séneçons géant

Lobelia

Lobelia

Johnson m’emprunte mon appareil photo et se met à mitrailler l’eau, les pierres, les feuilles, en regardant le résultat de son travail entre chaque prise. Quand il vient me montrer le résultat, je me mets à rire en découvrant ses cadrages acrobatiques. « Moi au moins je fais des photos » me lance-t-il un peu vexé. « Bon, je vais poser, prends des photos de moi maintenant. »

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Cette pose m’a rafraîchie et ragaillardie; il est à présent plus facile de continuer. Le coeur léger, on arrive au camp assez tôt pour pouvoir profiter du jour déclinant. Le camp est déjà dans l’ombre, tandis que les flancs de montagne alentours sont encore en pleine lumière.

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« De ce côté, dit Johnson, c’est le Barranco Wall. C’est une ascension difficile qu’on fera demain matin. L’après midi c’est du gâteau. Maintenant tu dois recommencer à t’alimenter, sinon tu vas t’affaiblir de plus en plus. Comme tu n’es pas entraînée, il faut que tu écoutes les conseils de ton guide. »

Quand le repas arrive, je fonds en larmes. Je ne peux pas manger. C’est comme si on me forçait à manger de la corde sèche ou du bois. Mon guide insiste. Je me fâche. Qu’est-ce qui m’arrive? On dirait que je suis folle. Johnson me rassure: « C’est l’altitude, ne t’occupes pas de tes émotions ou de la façon dont tu me parles. Force toi à manger, c’est tout, ou demain tu devras redescendre.

Il me laisse finalement tranquille, et je mâchonne deux trois carottes en pleurnichant. C’est dur de monter seule. J’ai vu des groupes passer, ils s’encouragent lorsque l’un d’eux est à la traîne.Ils bavardent, se massent, partagent des barres énergétiques, se sourient. Allons, allons, me dis-je en m’emmitouflant dans mon sac de couchage, j’aurai encore plus de mérite. Je suis une aventurière oui ou merde.

Mieux vaut s’endormir avant de répondre.

le Kibo vu du Barranco camp

le Kibo vu du Barranco camp

Jour 10: Descente au paradis

Petite leçon d’histoire -géo

C’est quoi ce fameux cratère du Ngorongoro? Au départ c’est un volcan, il y en a quelques uns dans la région. Les plus connus sont:

le cratère Empakai au fond submergé par un lac, un paradis de verdure luxuriante, et le Ol Donyo Lengai, le volcan sacré des Maasaïs, toujours en activité!

Le Ngorongoro et le Empakai sont des caldeira: lors d’une éruption violente, la chambre magmatique s’est vidée, et le volcan s’est effondré sur lui-même, créant un cratère au fond plat. Empakai a été, comme souvent les caldeiras, submergé par l’eau. La particularité de Ngorongoro, c’est qu’il est resté sec. La pluie s’accumulant a formé un lac et deux marais.

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Tout ça c’était il y a 2 millions d’années! Aujourd’hui, il est tapissé de forêts sur ses flancs et son fond est une vaste prairie de 20km de diamètre.

Avant il faisait partie du Parc National du Serengeti. Depuis 1959, il a été détaché, pour préserver les intérêts des Maasaïs. En effet, ils ont le droit de descendre y faire paître leurs troupeaux. Au milieu des fauves. Si, si.

Par contre personne ne passe la nuit en bas; Maasaïs comme touristes sont priés de regagner les crêtes avant la tombée de la nuit. Sécurité et protection de l’écosystème.

Il faut savoir qu’en plus des frais d’entrée, quand on veut descendre dans le cratère, on paie une taxe par voiture de 200$ appelée « crater service ». C’est censé limiter le nombre de voiture par jour, de même la durée du game drive est limitée à 6 heures porte à porte (compter 1h30 aller retour pour descendre -remonter).

Descente dans le cratère

Sur la crête, nous nous arrêtons au mémorial de Mickael Grzimek, le fils de Bernhard Grzimek. Oui mois aussi, j’ai dit: « c’est qui çui-là? »

Papa Grzimek était le directeur du zoo de Francfort de 1945 à 1974 (imaginez-vous reprendre la direction d’un zoo bombardé!) Vétérinaire et zoologiste, il a énormément étudié la faune du Serengeti, notamment la migration des gnous, et participé à la protection des espèces. Son fils a réalisé un documentaire, « Serengeti shall not die ». Leurs cendres ont été transférées ici au Ngorongoro.

Allez, on descend. Ça va, il n’y a pas trop de voitures a priori. Passée la porte, on a une vue superbe sur la plaine en contrebas. Mais oui, je vois bien des Maasaïs à pied qui se baladent sans crainte des bêtes sauvages.

On longe le lac Magadi. Une large zone humide entre la berge et l’eau profonde montre qu’on est en pleine saison sèche. Un lion est vautré sur le sable frais. Deux lionnes couchées à ses côtés scrutent l’horizon. Elles attendent la colonne de zèbres qui arrive du nord pour se désaltérer. De l’ouest s’approche une file interminable de gnous. De tous côtés, c’est féerique. Une douzaine de grues couronnées prend son envol sur le lac et passe au-dessus de nous. Quelques hyènes tournent autour des lions en gardant leurs distances. Que va-t-il se passer quand tous les herbivores atteindront le lac? Est-ce que les lionnes ont l’intention de chasser ce matin? Je pourrais rester là des heures à observer cette tranche de vie au Ngorongoro. Mes covoitureuses, elles, apparemment non? Elles se rasseyent, signe de lassitude, et Idir voyant ça, démarre. Dommage!

Un peu plus loin, avec les jumelles, on peut voir un rhinocéros noir à moitié caché dans les herbes hautes. Il est peut-être à 200 mètres, c’est bien loin, mais voir un vrai rhino sauvage, nos petits-enfants n’en auront surement plus la chance. Il n’en reste qu’une poignée au Serengeti et dans le cratère; on en réintroduit de temps en temps, en provenance d’Afrique du Sud, et parfois on en retrouve un mort sans corne… difficile pour les rangers de lutter contre ces bandes organisées, et la demande du marché noir chinois.

Photo Loïc Mathel sur Melting Pot Safaris

Photo Loïc Mathel sur Melting Pot Safaris

Pour le lunch, on s’arrête comme tout le monde à la Hippo Pool, la piscine des hippos. C’est sur la rive du lac, creusée en cuvette, que toutes les voitures se garent pour la pause. C’est curieux de voir tout ce monde descendre des jeeps quand on sait qu’il n’y a pas de limite entre nous et le monde sauvage. D’ailleurs en face, sur la rive qui remonte après le lac, une horde de zèbres se met à courir. Ally me dit que les lions chassent. En regardant mieux, on aperçoit deux personnes à quelques mètres de la scène, en train de pique niquer. Un vent de panique se lève, les radios se mettent en marche, on guette… c’est bon ils se lèvent précipitamment et vont se mettre à l’abri, quelqu’un les a prévenu. Ally me dit que c’est trop dangereux de stopper de l’autre côté. Là où nous sommes, près des toilettes, c’est plus sûr. Brr! petit frisson!

On reprend le game drive tout l’après midi, j’en ai plein les mirettes. Le soleil commence à décliner quand, au bord d’une piste poussiéreuse, deux gros lions mâles endormis apparaissent dans les herbes. Ils sont si près qu’on se contente de chuchoter. C’est l’heure de la sieste, et mis à part un bâillement de temps en temps ou un secouement de crinière pour chasser les mouches, ils sont totalement immobiles. Là encore, j’aimerais attendre jusqu’à ce qu’ils se lèvent. Mais au bout de 20 minutes, Idir démarre:

« Time to get out of the park » me dit-il un peu désolé. Mais je comprends, si les règles sont strictes, c’est pour la protection de cette extraordinaire biodiversité.

photo from familyadventures.com

photo from familyadventures.com

1. Et pourquoi en Tanzanie?

Question récurrente! Je bafouille toujours une réponse improbable, parce que, soyons honnête, je n’en sais rien.

« Pour la faune sauvage, les arbres, les tribus… parce que « Le Lion » de Kessel est une lecture d’enfance peut-être…

– Ben oui mais ça se passe au Kenya, alors pourquoi pas le Kenya?

-…

-Hein? Pourquoi en Tanzanie?

-Heu, Jules Verne aussi c’est un livre que j’aimais bien, il fait partir les héros de « Cinq semaines en ballon » de Zanzibar, et survoler la savane et le lac Victoria…

– Oui mais bon, ils survolent aussi le Tchad et ils atterrissent au Sénégal.

-Le tourisme en Tanzanie c’est moins cher qu’au Kenya…

-Non.

-Le Roi Lion ça se passe dans le Ngorongoro non?

– Ben tiens et comment tu peux savoir ça?

– C’est un truc que je sens, tu vois… le rocher de Mufasa, il domine une immense plaine, ça ne peut être que le fameux cratère… »

Bref, j’ai eu l’argument bancal mais à présent je sais quoi répondre:

C’est là qu’on parle l’authentique kiswahili, c’est donc l’idéal pour mon apprentissage de la langue.

Mais au fond, parfois, je crois qu’il n’y a pas d’autre explication qu’une envie profonde de partir pour une destination précise. Et d’y retourner!

En attendant,  voici mon expérience tanzanienne. N’hésitez pas à commenter mes posts, que vous connaissiez bien la Tanzanie ou que vous n’y ayez jamais mis l’orteil. Ca me fera plaisir!