Chez Laizer

Au travail !

J’aimerais vous parler de Laizer, le chef Maasai d’une grande boma (village). Il vit dans un enkang (ensemble d’habitations traditionnelles ceint par une clôture d’arbustes épineux) à l’est de l’aéroport, c’est le début de la grande steppe Maasai qui s’étend au sud jusqu’à Dodoma. Une terre très aride où les femmes font des kilomètres pour aller chercher de l’eau au puits, et d’où il faut partir en transhumance les mois les plus secs pour emmener les troupeaux paître l’herbe tendre des terres de l’ouest.

Laizer a décidé d’ouvrir son village au tourisme culturel afin de soutenir l’économie de la communauté, financer les formations des jeunes qui souhaitent poursuivre leur scolarité, développer l’élevage, aider aux frais médicaux des familles. A peine arrivés nous voyons les femmes occupées à la construction d’une maison pour les hôtes. Au boulot! Elles nous apprennent à faire le mélange de terre, eau et bouse de zébu qui va colmater les espaces entre les branchages et isoler très efficacement la maison.

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Cette maison va permettre d’accueillir des voyageurs pour la nuit. Elle a été placée un peu à l’écart du centre du village, pour que chacun conserve son intimité. Auparavant les rares visiteurs dormaient là où je vais m’installer pour la nuit : ma claustrophobie sera mise à l’épreuve…

Mais déjà le bétail est en vue, et l’heure de la traite arrive.

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Je vais dormir dans une hutte traditionnelle, basse et colmatée de partout à l’exception d’un petit trou auquel je vais coller mon nez toute la nuit, car par bonheur il est à hauteur du lit.

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Le lit est une litière de branchages, recouvert d’une couche de fourrage et de peaux de chèvre. Après avoir testé, j’ai décidé que, juste au cas où, on apporterait des matelas la prochaine fois, ou alors il faut vraiment rajouter deux-trois bonnes couches de fourrage!

En dehors du manque d’oxygène et du mal de dos,  j’ai passé une très bonne nuit ! Non, vraiment, sans ironie, il y a quelque chose de magique à dormir de la même façon qu’il y a mille ans, et je pense à ces éleveurs qui, en France, juste avant l’avènement de l’électricité, partageaient la maison et l’âtre avec les troupeaux. L’odeur des herbivores est mon odeur du bonheur! Les bruits des bêtes et leurs petits, juste à côté, les grillons, les hommes qui déroulent la langue Maa au dehors, le feu qui crépite, n’est-ce pas à vivre une fois dans sa vie? « Voir » les Maasais peut être un rêve, mais quand on le vit, on comprend que les autres sens sont bien plus émus: sentir, écouter, toucher « kimaasai » (à la manière Maasai).

A l’aube, en quête d’air frais, je sors de la hutte. Tout est endormi. Et là bas, discret comme parfois la lune peut l’être en pleine journée, un sommet se dessine à l’horizon. C’est le Mawenzi, à 5 149 mètres, qui émerge sur la plaine.

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C’est pas très impressionnant, en photo, comme ça… mais l’amas de nuage à gauche, s’il se déplace, c’est la splendeur du massif entier du Kilimanjaro qui apparaît; combien de fois je retiens mon souffle, combien de fois le sommet du Kibo joue à cache cache, surgit furtivement, disparaît à nouveau, par dessus, par dessous les strates cotonneuses!

Et nous voilà comme des anglais, à boire le thé au lait et les petits biscuits en parlant de nos cultures. Laizer me demande pourquoi les femmes mettent des pantalons. Je réponds que c’est pratique, et correspond à notre époque; qu’il y a longtemps, les hommes portaient des robes, comme ici, j’explique les Romains, Laizer explique ses traditions. Il pensent que les jeunes doivent avoir le choix, et soutient autant les gosses qui souhaitent faire des études que ceux qui restent à la vie pastorale.

Si je veux aller au marché Maasai? Evidemment!

Laizer prend mon appareil photo, qu’il gardera dans sa main ballante, mitraillant tous les recoins du marché sans aucun intérêt pour le cadrage et le niveau de l’horizon. Je poste ici celles qui par hasard, sont réussies!

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Voilà un étal qui m’a fait grande impression: la médecine naturelle des Maasai ! Bien entendu j’ai demandé « c’est quoi ça? » pour la moindre poudre, épice, racine, herbe que ces petits sacs contenaient. Le vendeur est resté très patient malgré nos efforts interminables pour traduire un nom Maasai en swahili puis en anglais puis en français. J’ai bien entendu tout oublié depuis.  J’ai fini par acheter une poudre de racine de je ne sais plus quoi ( sijui en swahili ^^) contre le rhume, et … une bouse d’éléphant séchée. Enfin, de l’herbe digérée quoi. C’était le premier contact, depuis j’en ai fumé aussi, qui sait quand j’en mangerai !

Plus tard dans le séjour, à Babati, un gros rhume m’a terrassée toute une journée: le soir, trois cuillers de cette poudre (un goût de… terre au piment…) , une inhalation de caca d’éléphant, et tout est parti en une nuit. Je vous en ramène la prochaine fois? (Bon par contre je vais éviter de l’acheter car on en trouve par terre,  quand même ! )

Réflexions sur le tourisme culturel

J’ai décidé que j’inciterai les gens à passer la nuit chez les Maasai.  Parfois on m’avoue une crainte tout à fait défendable: « On ne veut pas aller dans les pièges à touristes » . Mis à part quelques villages du bord de la route en allant au Serengeti,  qui sont connus pour être des reconstitutions, un peu comme nos écomusées, on a peu de chance d’être déçu d’une visite aux Maasai, à condition d’éviter les visites éclairs bien entendu. Inutile de réfréner notre curiosité ou de craindre d’offenser ce peuple qui a un grand sens de l’humour et peu de sujets tabous.

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Bien entendu, si l’on sent que les villageois font des démonstrations à contre cœur, s’ils ont une mine contrariée, il peut y avoir un problème, mais dans ce cas, je suggère de leur parler. Rien n’empêche de leur dire qu’on ne peut pas apprécier qu’ils fassent quoi que ce soit de manière forcée. Cela m’est arrivé chez les Hadzabe. J’étais indignée qu’un grand père qui avait manifestement mal à une jambe participe à la danse. Je l’ai dit, il m’a remerciée, s’est arrêté,  et j’ai décidé de ne plus jamais envoyer de voyageurs chez les Hadzabe. C’est très différent pour eux. Ils ne connaissent que très peu le monde qui les entoure, ils ne croient pas que tout change, alors qu’ils sont anéantis par le tourisme forcé. Les Maasai, aujourd’hui, proposent du tourisme culturel de leur plein gré. Si on a des doutes, pourquoi ne pas se renseigner: combien gagne le village sur votre visite? Combien pour l’agence? Est-ce équitable? Poser ces questions, après tout, c’est s’enquérir du bien être de nos hôtes.

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Bienvenue chez les authentiques Maasai de 2017 !

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J17 – Barafu camp – Stella Point – Moshi

L’ascension de nuit

Mon guide a eu la délicatesse de me laisser dormir jusqu’à minuit au lieu de 23h. La fraîcheur de la nuit me donne un coup de fouet. Comme chaque matin, je fais mon sac en buvant un thé brûlant, mais cette fois dans le noir. Il y a du remue ménage autour mais je ne distingue que quelques lueurs de torches. Huit heures de sommeil m’ont fait du bien et je me réjouis intérieurement du caractère ultime de la prochaine marche. Hier j’ai vécu la plus longue journée de ma vie, et je ne sais pas encore que je m’apprête à connaître ma plus longue nuit. Dans cette immense obscurité, un train de lumière s’est mis en marche. Chaque marcheur a sa lampe frontale. Comme des nains dans une mine. On se met à la file.

Pendant 5h, on ne voir que de la roche et du sable noir dans les cercles lumineux. A peine une heure après le départ, un vent glacial s’est levé, infiltrant lentement chaque micro ouverture dans nos triples couches de vêtements. Parfois, comme au Barranco wall, j’entends un pas de course au loin. Mais ce ne sont plus les porteurs qui nous dépassent: ce sont les guides qui redescendent, soutenant un marcheur trop faible ou malade pour continuer. Non, le Kilimanjaro, c’est pas de la rigolade. Je comprends aussi les gens qui parlent de challenge mental plus que physique. J’ai rarement autant peiné à me relever à chaque fois que je tombais. Les guides disent que cette ascension se fait de nuit car la vue de jour serait décourageante.

Après cinq heures dans un vent terrible, après avoir vomi de trop d’efforts une paire de fois, après avoir hésité à renoncer à chaque chute, après donc la plus dure nuit de mon existence, dont je passe volontairement tous les détails pénibles et émotions violentes, Johnson et moi arrivons au Stella Point, et à la vue du panneau, je m’écroule au sol, avec une seule envie, dormir.

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Les parcs nationaux nous félicitent par un panneau en forme de store. Est-ce qu’il y a un drapeau au Uhuru Peak, 200 mètres plus haut? J’ai du mal à croire que nous sommes à cette altitude. C’est comme toucher le fond de l’océan ou atteindre la lune. Mais je n’ai pas le cœur à faire des bonds comme Buzz Aldrin. Le soleil se lève sur le Mawenzi. Johnson fait quelques photos des alentours pour moi,  c’est beau à mourir. En parlant de ça, mon état me fait peur, je n’ai jamais été si faible.

« On continue ou on arrête là? me dit mon guide. Sa voix ne reflète aucune opinion sur la décision à prendre. C’est à moi de parler.

– Combien de temps jusqu’au sommet?

– 3/4 d’heure pour le Uhuru Peak.

Je réfléchis. S’il me dit ça, c’est que c’est un peu plus. J’ai appris à interpréter ses informations. C’est un bon guide, il sait qu’il faut parfois minimiser, parfois grossir les difficultés.

-Combien pour redescendre au campement?

– Deux heures. Mais une fois au camp on se repose deux heures et on descend encore. Il ne faut pas rester trop longtemps en altitude.

Je ne réfléchis plus.

-On descend.

-Sûre?

– 5739 mètres, c’est assez pour moi. »

Et puis d’ici, on voit déjà un bout du glacier. C’est vraiment beau, mais je n’en peux plus. Je ne suis plus rien. Un tas de membres endoloris qui repousse de violentes vagues de fatigue. J’aimerais dormir sur place, mais Johnson me gronde.

« Quand on s’endort en haute montagne, on meurt. »

 Péniblement il m’aide à me relever, et constate que je ne tiens plus debout seule. Je sens qu’en me voyant à la lumière du petit jour, il commence à s’inquiéter. Alors que je ne suis plus tout à fait consciente de ce qui se passe, il entreprend de me donner un support. Il me soutient par dessous l’épaule et entame la descente.

Cette descente, ce n’est pas de la marche, c’est… une dégringolade qui se transforme en envol. Johnson a décidé de couper au plus court, c’est à dire par les flancs sablonneux. Nous nous mettons à glisser, puis en prenant de la vitesse, il me soulève littéralement  et, sous l’effet de l’altération de mon esprit engourdi, je me sens enfin légère et heureuse. Je suis devenue un chamois à deux têtes bondissant dans le soleil levant.

De cette façon, on ne met pas longtemps à atteindre le camp. Moins d’une heure je pense. Enfin le camp se dessine au loin, on ralentit, doucement, jusqu’à l’arrêt. Ma tente m’engloutit.

Cinq minutes après, Johnson me réveille.

« Stéphanie?

– Hmmm.

-On y va?

-Non.

-Si, allez, un thé et on y va.

-Non, j’ai dis non.

-Stéphanie?

-J’AI DIT NON, T’AS DIT DEUX HEURES, JE DORS DEUX HEURES, ET MERDE! »

En réalité j’avais déjà dormi deux heures. Il m’a laissé une heure de plus. Je pense qu’il était inquiet et préférait atteindre les 4000 mètres au plus vite.

Retour à une altitude décente

 Bien sûr après ce court repos  je n’ai pas récupéré, mais la perspective d’un lit ce soir me donne du baume au cœur. Le début de la marche n’est pas facile, mais après cette terrible épreuve, mon moral revient, en même temps que ma lucidité. Je constate que je n’étais plus moi-même. Il y a eu dissociation entre mon corps et mon esprit à plusieurs moments. L’altitude modifie l’organisme, et plus je descend, plus je me sens à nouveau en phase avec l’habitat qui m’entoure. Mon monde se trouve en dessous de 3000 mètres. Au delà c’est un univers post apocalyptique magnifique et effrayant.

La végétation surgit peu à peu, d’abord rare et hirsute puis plus fournie et accueillante; avec elle apparaissent les premiers insectes, enfin les oiseaux. La voie Mweka qu’on emprunte pour la descente prend des couleurs, renvoie des sons harmonieux et des parfums de broussailles séchées. Tiens, le paradis est en bas finalement.

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Voyant que je recommence à prendre des photos, Johnson me donne les noms des plantes et leur usage. La fatigue n’a pas d’emprise sur lui, je suis impressionnée. Et nous nous mettons à babiller.

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 Soudain, un camp est en vue.

« C’est le Mweka camp, 3100 mètres. On va s’arrêter se reposer. Sawa?

– Sawa. »

Lorsqu’on arrive au camp, je vois le cuisinier et les porteurs qui déjeunent. Leur tente est montée; à côté, la mienne.

« Mais! Johnson, on s’arrête jusqu’à demain, c’est ça le plan?

-Oui, tu vas pouvoir reprendre des forces. »

Je devrais me réjouir de n’avoir marché que trois heures depuis mon réveil. Pourtant je suis ébranlée par la nouvelle. Une idée fixe ne me quitte plus: dormir dans un lit ce soir.

« Johnson, combien de marche jusqu’en bas?

-On n’aura que trois heures demain matin.

– Alors désolée que vous ayez monté les tentes, mais on continue. »

Toute l’équipe me regarde complètement incrédule. Je les inspecte pour voir si je ne demande pas un effort surhumain, mais tout le monde a l’air en forme. Ils n’ont pas fait l’ascension de nuit, eux. Seul mon guide pourrait protester, mais au lieu de cela, il mâchouille un brin d’herbe et me dit d’un air amusé:

« Ok patronne, comme tu veux. Hakuna matata.! »

Un déjeuner frugal, et on repart.

J’entre dans la forêt vierge aux lianes de mousse comme dans un bain chaud. Les arbres immenses qui frangent le sentier sont de bienveillants gardiens des espèces qui s’y cachent. Je me sens heureuse et réconfortée d’être entourée de toutes ces formes de vie. Le parfait biotope. Et je bénis les parcs nationaux qui préservent l’environnement contre la déforestation qui sévit plus bas.

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Les porteurs nous dépassent en riant. Je crois qu’ils sont assez contents de faire cinq jours au lieu de six. Ils rejoindront leur famille plus tôt. Le soir Ally me dira que, les ayant payés d’avance pour six jours, ils auront demain un jour de congé payé!

Voici les deux magnifiques rencontres surprises de cette fin d’ascension.

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Les singes colobes guereza vivent à la cime des arbres. Ceux-ci nous observent silencieusement tandis que nous passons dessous. C’est un toujours un bonheur de voir dans leur milieu naturel des animaux qu’on n’a jamais vu qu’au zoo!

Petit calcul mental: 10h+6h+3h+3h= 22h de marche depuis hier matin… A la porte du parc, on me dit d’aller chercher mon diplôme au bureau. Un employé remplit les champs libres.

« Vous avez atteint un sommet?

-Oui le Stella Point, dis-je d’un air coupable.

-C’est déjà pas mal mademoiselle. Nos félicitations. »

J’ai un peu peur qu’Ally soit décu que je n’ai pas atteint le Uhuru Peak. Mais à mon retour à Moshi, il m’accueille chaleureusement. Il me félicite aussi, et me fait la surprise d’un grand dîner préparé par Samweli et sa femme (son bras droit et cuisinier principal). Il a dû l’organiser vite puisque mon retour n’était prévu que demain!

Et contre toute attente, ce soir-là, je n’ai pas envie d’aller me coucher, et je dévore tous les plats avec un appétit vorace. Oui vraiment, l’altitude, ça vous change un homme.

J15: Shira – Barranco Camp

Haut les coeurs

Ce matin le ciel est d’un bleu magnifique, et mon ventre me laisse en paix. Du camp, on voit au loin la silhouette du sommet du Mont Meru dépasser d’une mer de nuages.

Au loin le Meru qui surplombe Arusha

Au loin le Meru qui surplombe Arusha

Je n’ai pas dîné hier soir, malgré les invectives de mon cuisinier. Par conséquent, je me jette sur le petit déjeuner avec appétit. Mais aux premières bouchées, quelque chose cloche. Rien n’a de goût, les fruits se ressemblent tous et les œufs sont du carton pâte dans ma bouche. D’ailleurs après une minute de mastication je suis écœurée. La cuisine de mon équipe n’est pas à remettre en cause, c’est ma bouche qui dysfonctionne. Un thé fera l’affaire.

En 2009 j’ai eu la grippe aviaire et comme conséquence une perte de l’odorat provisoire. J’ai lu que la perte de ce sens, et donc du goût en même temps, pouvait rendre gravement dépressif! Après le trek, j’apprendrai que c’est un symptôme rare du mal des montagnes. Tout bien réfléchi, c’est mieux que ces terribles migraines et ce manque de souffle dont j’ai entendu parler.

On s’est mis en marche au même rythme qu’hier et que demain; pole pole, mara kwa mara (doucement, tout droit). Johnson chantonne. En voilà une bonne idée. Pour oublier les kilomètres, rien de tel que le chant. Après s’être fait prier une bonne dizaine de minutes, il entreprend de m’apprendre une berceuse swahilie. Elle évoque la douceur du soleil, l’éclat des étoiles et les bienfaits de la pluie, mais qui ne sont rien comparés à l’amour d’une maman. Si maman me voyait, elle se fâcherait contre Johnson, Ally ou tout autre individu à proximité et m’ordonnerait de redescendre tout de suite me reposer.

Le paysage est lunaire. Il n’y a plus un végétal. Je demande une pause et mon guide me l’accorde volontiers. Soudain cette femme surgit. Cette femme que j’ai déjà vue hier. Elle a une particularité étrange: elle ne cesse pas de sourire.

attention...

attention…

Elle me ravit et m’énerve, je l’admire et je la déteste, elle est magnifique et désolante dans ce décor hostile et grandiose.

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et bam! Elle sourit.

 Moi aussi je voudrais en être capable, être en forme, profiter de ma chance, me délecter de l’effort!

Et je ne me pardonne pas d’être une aussi petite joueuse.

Johnson me dit « Souris toi aussi! Je te prends en photo! »

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J’aime les cailloux.

Navrant, n’est-ce pas? On se remet en route. Johnson m’explique la Lava Tower qu’on voit depuis un moment au loin et où l’on se dirige.DSC_0154

« On est partis du camp à 3840m, et là on va s’arrêter à 4600m. C’est le moment capital pour une bonne acclimatation, on risque d’avoir mal à la tête, mais il faut y rester au moins une demi heure. On en profitera pour déjeuner. DSC_0151

Ensuite on redescend au camp pour passer la nuit à 3900m. Sawa?

– Sawa. »

Il fait 10 degrés, il est midi, j’ai déjà envie de me coucher. Mais ça va, parce que je réalise par à coups ce que je suis en train de faire. On est en Afrique. Au plus haut de l’Afrique.

Promenade botanique

En contrebas, on entend le babil continu d’un ruisseau. La végétation réapparaît: lobelias, lichens et les premiers séneçons géants. C’est un drôle de paysage, et mon esprit se remémore des scènes verniennes fanstasmagoriques. Tout comme dans Voyage au centre de la Terre, je ne serais pas surprise de rencontrer un hydre écailleux au détour d’un champignon géant.

Séneçons géant

Séneçons géant

Lobelia

Lobelia

Johnson m’emprunte mon appareil photo et se met à mitrailler l’eau, les pierres, les feuilles, en regardant le résultat de son travail entre chaque prise. Quand il vient me montrer le résultat, je me mets à rire en découvrant ses cadrages acrobatiques. « Moi au moins je fais des photos » me lance-t-il un peu vexé. « Bon, je vais poser, prends des photos de moi maintenant. »

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Cette pose m’a rafraîchie et ragaillardie; il est à présent plus facile de continuer. Le coeur léger, on arrive au camp assez tôt pour pouvoir profiter du jour déclinant. Le camp est déjà dans l’ombre, tandis que les flancs de montagne alentours sont encore en pleine lumière.

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« De ce côté, dit Johnson, c’est le Barranco Wall. C’est une ascension difficile qu’on fera demain matin. L’après midi c’est du gâteau. Maintenant tu dois recommencer à t’alimenter, sinon tu vas t’affaiblir de plus en plus. Comme tu n’es pas entraînée, il faut que tu écoutes les conseils de ton guide. »

Quand le repas arrive, je fonds en larmes. Je ne peux pas manger. C’est comme si on me forçait à manger de la corde sèche ou du bois. Mon guide insiste. Je me fâche. Qu’est-ce qui m’arrive? On dirait que je suis folle. Johnson me rassure: « C’est l’altitude, ne t’occupes pas de tes émotions ou de la façon dont tu me parles. Force toi à manger, c’est tout, ou demain tu devras redescendre.

Il me laisse finalement tranquille, et je mâchonne deux trois carottes en pleurnichant. C’est dur de monter seule. J’ai vu des groupes passer, ils s’encouragent lorsque l’un d’eux est à la traîne.Ils bavardent, se massent, partagent des barres énergétiques, se sourient. Allons, allons, me dis-je en m’emmitouflant dans mon sac de couchage, j’aurai encore plus de mérite. Je suis une aventurière oui ou merde.

Mieux vaut s’endormir avant de répondre.

le Kibo vu du Barranco camp

le Kibo vu du Barranco camp

J14: Machame-Shira Camp

Changement de décor

Réveil difficile. Des crampes intestinales étranglent mon enthousiasme. Au petit déjeuner, Johnson me lance de grands sourires et des mots encourageants qui me donnent l’élan pour se mettre en route. Je sens que la journée va être difficile.

La lande se fait plus rase, la bruyère arborescente cède le terrain aux immortelles à fleurs blanches et les lobelias font leur apparition.

bouquet d'immortelles

bouquet d’immortelles

lobelia et immortelles

lobelia et immortelles

J’avance lentement et multiplie les arrêts, pliée en deux par des contractions douloureuses; Johnson, patiemment, s’adosse à un rocher en mâchouillant des brins d’herbe. J’avance si lentement que nous observons les trekkeurs nous dépasser, tantôt un marcheur solitaire, tantôt un joyeux groupe aux accents germanique ou américain. Ils nous saluent courtoisement, comme on fait en montagne, et je laisse le soin à mon guide de répondre. En quelques minutes, l’écho des marcheurs disparaît, et je suis seule au monde avec mon guide, dans cette immensité silencieuse. J’ai de sérieux doutes sur le succès de mon entreprise.

Finalement, des récits d’ascension, il en foisonne sur les blogs. Je les ai lus, ils sont tous confiants, enthousiastes, et enfin vainqueurs et ravis. Pourquoi ça ne se passe pas comme ça pour moi? D’abord parce que je ne suis pas une sportive, et la haute montagne ne fait peur. Johnson ose soudain me faire part de sa réflexion:

« Ton mal vient de ta peur.

– Je n’ai pas peur.

– Tu as peur, tu l’as dit toi même. A cause des morts de la semaine dernière. A cause de l’inconnu au-dessus de 3000 mètres. Tu t’inquiètes trop. Ça va bien se passer.

– Qu’est-ce que je dois faire?

– Marche. »

Alors je marche, en essayant de prendre sur moi pour m’arrêter moins souvent. Johnson me fait boire beaucoup. Enfin il annonce la pause déjeuner. Je vois bien qu’il a changé d’attitude. Hier il me demandait régulièrement si j’avais faim, si je souhaitais faire une pause, mais aujourd’hui il prend les décisions sans me consulter. Je sens qu’il me prend en main et cela me soulage.

corvus albicollis

corvus albicollis

Quel silence. C’est en même temps agréable et inquiétant. Malgré leur apparence sinistre, je suis contente de la visite de corbeaux à nuque blanche. J’ai toujours aimé les corvidés. Ils ont l’œil aiguisé des rapaces-rois mais la robe humble de ceux qui préfèrent dissimuler leur intelligence. Leur cri appellent la mélancolie des novembres brumeux dans les champs en repos. Ici ils sont les maîtres, et nous de fragiles organismes bouleversés dans nos habitudes.

Nous sommes à une crête, et le paysage s’étend à n’en plus finir. Je demande à mon guide si notre destination est visible à l’horizon.

« Non, c’est encore derrière. Il faut repartir, pour ne pas arriver à la nuit. »

De ce début d’après midi au coucher du soleil, je n’ai plus de souvenir. Il me semble qu’à un moment, devant la difficulté de la situation, j’ai dû mettre mon esprit en veille, et me contenter de mettre un pas devant l’autre, puis l’autre, puis l’autre. Dernière arrivée au camp, je me suis immédiatement endormie dans la tente déjà montée depuis longtemps par les porteurs qui nous devançaient. Une paire d’heure plus tard, j’ai pu encore échanger quelques histoires avec les porteurs, mais comme l’apparition du sommeil à 3800 mètres est brusque et sans appel!

Au lieu des six heures habituelles pour parcourir la distance entre le Machame et le Shira Camp, j’en ai mis neuf…

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Un regard inquisiteur

Le massif du Kilimanjaro

Une vidéo à voir absolument

On en entend, des histoires sur la fonte des neiges du Kilimanjaro. Le réchauffement climatique, la déforestation, qui est coupable? On m’a dit un jour que c’étaient le souffle des milliers de marcheurs qui font l’ascension chaque année… le CO2 qu’on expire… ça chauffe la glace… la blague, quand même!

Pourquoi on s’est mis à couper les arbres sur les pentes du massif? Tout simplement à cause de la chute du prix du café; il a fallu se tourner vers l’industrie du bois pour survivre. Voici un superbe documentaire qui met en avant les initiatives locales pour lutter contre la déforestation et préserver les neiges du Kilimanjaro.

Je l’ai trouvé en version interactive sur le site du Monde, et en version vidéo sur le super site Krapo arboricole qui est une mine d’informations sur les arbres.

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L’équipement pour le Kilimanjaro

Pour commencer

Pour commencer il vous faut… non, pour commencer il faut rectifier une idée reçue: le Kilimanjaro n’est pas au Kenya! Il appartient à la Tanzanie et toutes les voies partent de la Tanzanie.

En 1886, l’Empire allemand a repoussé les Britanniques au nord et leur a donné Mombasa en compensation. Ainsi a été dessinée la première frontière non naturelle entre le Kenya et la Tanzanie.

Alors on arrête de donner la montagne au Kenya sinon on rend Mombasa à la Tanzanie.

Voilà qui est fait.

1886 - source Wikipédia

1886 – source Wikipédia

Donc pour commencer il faut un grand sac à dos et un petit. Le grand sera porté par un porteur, attention à ne pas dépasser les 20kg règlementaires; si vous le pouvez, n’hésitez pas à réduire à moins de 15kg pour alléger le pauvre garçon! Je dis garçon, ou la fille, il y a 9 filles actuellement parmi les porteurs du Kilimanjaro, et le poids règlementaire est le même pour elles.

Vous porterez votre petit sac la journée avec à l’intérieur votre lunch et vos petites affaires indispensables à portée de main: veste de pluie, barres  énergétiques, appareil photo…

La grande question des pourboires 

KINAPA, Kilimanjaro National Park indique les recommandations suivantes (tarif pour un groupe de randonneurs):

20$ par jour pour le guide

15$ par jour pour le cuisinier

10$ par jour par porteur

Ici le site officiel des parcs nationaux de Tanzanie

Mais en fait, les pourboires compensent surtout des salaires très bas. Donc à vous d’oser demander combien sont payés les porteurs, et choisir une agence qui respecte ses employés (attention ça ne court pas les rues, même chez les très connues).

Bonne nouvelle, si vous passez par Tumbili, les pourboires sont intégrés au tarif. Pourquoi? Parce que nous passons par une agence, Osiwoo Safaris, qui rémunère son personnel de façon équitable, selon les recommandations de l’association KPAP (Kilimanjaro Porters Assistance Projet). Les équipes ne ressentent pas le besoin de compenser un bas salaire par la générosité des trekkeurs.

Petit inventaire de l’équipement

Voici une liste des meilleurs blogs qui proposent de vous aider à penser à tout l’équipement nécessaire pour l’ascension du Kilimanjaro.

L’excellente  liste de « Camp de Base », un trekkeur accompli.

Le site de Pascal Boegli, abécédaire, photos et liste, le tout avec humour.

Un blog à découvrir, et pas que pour le Kili

Une version en anglais, pour apprendre à nommer son équipement!

Si vous en connaissez qui méritent d’être ajoutés à la liste, envoyez un petit message!

Bien emmitoufflé, vite en mouffle émis, sommet garanti!

Bien emmitoufflé, vite en mouffle mis, sommet garanti!

Un bon matériel optimise grandement les chances d’atteindre le sommet.

A la fin si vous avez du matériel usé, des vêtements que vous pensez renouveler avant votre prochain trek, n’hésitez pas à donner des choses à l’agence qui les donnera aux porteurs qui n’ont pas les moyens d’un équipement dernier cri. Et si vous en avez la possibilité, vérifiez qui sont vos porteurs, comment ils sont équipés (voire ce qu’ils mangent en trek), et s’ils sont montés avec des vêtements inappropriés, prenez leur nom et signalez-le à l’agence (pour leur propre sécurité). Je dis de passer par l’agence car il y a aussi des porteurs qui revendent ce qu’on leur donne et choisissent de ne pas mieux s’équiper pour attirer la compassion des trekkeurs ! Ceux-ci n’ont pas conscience du danger d’être mal équipé.

Mais pas d’inquiétude, il y a l’association des porteurs KPAP qui prête des vêtements et du matériel à ceux qui ne peuvent pas se le payer.

Parés pour l’ascension? C’est parti!