J14: Machame-Shira Camp

Changement de décor

Réveil difficile. Des crampes intestinales étranglent mon enthousiasme. Au petit déjeuner, Johnson me lance de grands sourires et des mots encourageants qui me donnent l’élan pour se mettre en route. Je sens que la journée va être difficile.

La lande se fait plus rase, la bruyère arborescente cède le terrain aux immortelles à fleurs blanches et les lobelias font leur apparition.

bouquet d'immortelles

bouquet d’immortelles

lobelia et immortelles

lobelia et immortelles

J’avance lentement et multiplie les arrêts, pliée en deux par des contractions douloureuses; Johnson, patiemment, s’adosse à un rocher en mâchouillant des brins d’herbe. J’avance si lentement que nous observons les trekkeurs nous dépasser, tantôt un marcheur solitaire, tantôt un joyeux groupe aux accents germanique ou américain. Ils nous saluent courtoisement, comme on fait en montagne, et je laisse le soin à mon guide de répondre. En quelques minutes, l’écho des marcheurs disparaît, et je suis seule au monde avec mon guide, dans cette immensité silencieuse. J’ai de sérieux doutes sur le succès de mon entreprise.

Finalement, des récits d’ascension, il en foisonne sur les blogs. Je les ai lus, ils sont tous confiants, enthousiastes, et enfin vainqueurs et ravis. Pourquoi ça ne se passe pas comme ça pour moi? D’abord parce que je ne suis pas une sportive, et la haute montagne ne fait peur. Johnson ose soudain me faire part de sa réflexion:

« Ton mal vient de ta peur.

– Je n’ai pas peur.

– Tu as peur, tu l’as dit toi même. A cause des morts de la semaine dernière. A cause de l’inconnu au-dessus de 3000 mètres. Tu t’inquiètes trop. Ça va bien se passer.

– Qu’est-ce que je dois faire?

– Marche. »

Alors je marche, en essayant de prendre sur moi pour m’arrêter moins souvent. Johnson me fait boire beaucoup. Enfin il annonce la pause déjeuner. Je vois bien qu’il a changé d’attitude. Hier il me demandait régulièrement si j’avais faim, si je souhaitais faire une pause, mais aujourd’hui il prend les décisions sans me consulter. Je sens qu’il me prend en main et cela me soulage.

corvus albicollis

corvus albicollis

Quel silence. C’est en même temps agréable et inquiétant. Malgré leur apparence sinistre, je suis contente de la visite de corbeaux à nuque blanche. J’ai toujours aimé les corvidés. Ils ont l’œil aiguisé des rapaces-rois mais la robe humble de ceux qui préfèrent dissimuler leur intelligence. Leur cri appellent la mélancolie des novembres brumeux dans les champs en repos. Ici ils sont les maîtres, et nous de fragiles organismes bouleversés dans nos habitudes.

Nous sommes à une crête, et le paysage s’étend à n’en plus finir. Je demande à mon guide si notre destination est visible à l’horizon.

« Non, c’est encore derrière. Il faut repartir, pour ne pas arriver à la nuit. »

De ce début d’après midi au coucher du soleil, je n’ai plus de souvenir. Il me semble qu’à un moment, devant la difficulté de la situation, j’ai dû mettre mon esprit en veille, et me contenter de mettre un pas devant l’autre, puis l’autre, puis l’autre. Dernière arrivée au camp, je me suis immédiatement endormie dans la tente déjà montée depuis longtemps par les porteurs qui nous devançaient. Une paire d’heure plus tard, j’ai pu encore échanger quelques histoires avec les porteurs, mais comme l’apparition du sommeil à 3800 mètres est brusque et sans appel!

Au lieu des six heures habituelles pour parcourir la distance entre le Machame et le Shira Camp, j’en ai mis neuf…

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Un regard inquisiteur

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