Le matatu
Au bord de la route, mes 300 Tsh dans la main (15 cts), je vois arriver le matatu dans un nuage de poussière rouge. On peut se mettre n’importe où sur son trajet, faire un signe, il s’arrête. Je pense à ces chauffeurs de bus en France contre lesquels j’ai si souvent fulminé parce qu’ils n’ouvrent pas les portes en dehors des arrêts, même quand c’est le dernier à minuit…
Dans le matatu, je déchire ma basket en toile qui s’accroche à un bout de ferraille. Merde! Il faudra bien qu’elles tiennent encore 3 semaines. Je prends une place près d’une fenêtre au fond, mais quelques arrêts plus loin, je me retrouve écrasée contre la vitre car trois mamas se sont entassées sur ma banquette, et nous n’avons pas la même corpulence! Heureusement, je me suis fait bouillir de l’eau ce matin, je crève de soif!
Matatu signifie « trois », car c’était le prix du trajet quand il a été créé au Kenya. Chaque matatu a un chauffeur et un auxiliaire qui fait monter et descendre les gens et récolte l’argent. Pour dire au chauffeur de s’arrêter ou de repartir, il frappe deux coups sur la carrosserie. Quand c’est le moment de récolter l’argent, il secoue sa main pleine de monnaie sonnante et la tend vers chaque
passager.
Le plus important dans le matatu, c’est son style! Chaque matatu a un petit nom ou un slogan sur de gros autocollants colorés, genre le camion de Marcel le routier, mais pour les transports en commun. Et la musique diffusée colle à l’étiquette. Il y a des matatu rasta par exemple, rouge jaune vert, avec des portraits en graf de chanteurs célèbres, il y en a des chrétiens avec des signes de paix et des images de Jésus, et les plus intéressants sont ceux qui mélangent tout!
On m’a dit: « Au Kenya, on appelle ça des matatus et en Tanzanie des dala-dala, ça désigne le même type de minibus ». C’est vrai dans le nord, mais en réalité les dala-dala sont des camionnettes à Zanzibar avec deux bancs en bois derrière où les passagers se font face.
Autour de la clocktower
La clocktower m’a été indiquée comme le centre de la ville. Mais personnellement je me sens un peu à l’est (c’est mieux que de l’autre côté), et surtout je vais apprendre qu’il y a plusieurs clocktowers en ville, faut pas se tromper. Je remonte la Boma Road pour prendre un plan à l’office du tourisme. Le Safari Hotel se trouve en haut de cette rue. C’est le coin des touristes. Donc c’est le coin du harcèlement par les vendeurs locaux.
« Olà! Olà!
Je me retourne: – Are you speaking to me?
-Si signora, buenos dias! Qué tal?
-Heu buenos dias, muy bien… why do you think I’m spanish?
-Because of your red hair, where are you from?
-France
– Ahaa! Paris ye t’aime ah la la monamour! Safari madmoizel?
– No thanks, no money no safari… »
Hé voilà, ça, tous les jours, au début ça fait rire, ensuite on se promène avec un petit nuage noir au-dessus de la tête comme dans les BD.
D’ailleurs, c’est nuageux, on ne voit pas le Mont Meru, et puis j’ai le cœur un peu lourd…Moi, j’ai bien besoin d’aller prendre et donner des nouvelles de mes proches dans un cybercafé, et boire un bon café kenyan. Je ne sais pas du tout ce que je vais pouvoir faire de mes journées. Un couchsurfeur m’a donné le contact d’un vétérinaire, peut-être un peu de bénévolat? Si Arusha m’ennuie, j’irai chez mon prochain contact, un français qui vit vers Babati plus au sud.
Le marché
J’ai retrouvé Daniel, mon jeune allemand barbu, au Safari Hotel, et il m’accompagne au marché central pour acheter des légumes. Dès qu’on arrive, quelques jeunes garçons nous demandent ce qu’on cherche, insistent, nous proposent des fruits… pas moyen d’être tranquille. Daniel m’explique que les mamas ne parlent que kiswahili, et les gamins qui parlent un anglais correct, font l’intermédiaire et glanent queqlues pièces au passage. Pour ma part je préfère parlementer avec les mamas, en remplaçant par des signes les mots que je ne connais pas, mais les gamins ne l’entendent pas comme ça, ils se mettent carrément entre elles et moi. Je cède et leur demande des avocats, des tomates, des oignons. C’est la saison froide et le choix est restreint.
J’ai un accrochage avec un des petits intermédiaires, car je refuse son prix et il se fâche. Je crois qu’il avait besoin de lâcher tout ce qu’il avait contre les touristes, car il l’avait vraiment mauvaise. Il me demande agressivement si c’est un jeu pour moi, de marchander; je lui répond que je paierai un prix juste, pas multiplié par cinq. Finalement la tension monte alors je lui paie le prix qu’il me réclame, je ne veux pas attirer la police corrompue qui patrouille et adore draguer les Mzungus (Blanches). Des gamins de sept-huit ans nous proposent de porter nos sacs jusqu’à la route en échange de quelques pièces.
Ce léger conflit me plonge pour l’après midi dans une réflexion amère. Je sais que j’avais raison, j’ai demandé et comparé les prix à de nombreuses reprises depuis. J’aurais aimé lui expliquer, à ce gamin qui me prend pour une riche qui l’exploite, que je dois aussi faire attention, que je ne me sens pas en vacances, que j’ai vidé mon compte pour partir loin de ce que je fuyais, que je n’ai pas d’économies, que d’ailleurs les riches ne sont pas tous des cons, et que les pauvres en comptent un bon nombre. Comment pourrait-il comprendre, lui qui n’a pas comme moi de quoi s’offrir un petit-déjeuner, qui a sans doute une famille qui compte sur son revenu, qui ne voit passer que des touristes super-équipés et des stagiaires du tribunal qui claquent leurs sous en alcool le week end?
Et ce n’est pas la dernière fois que ma conscience travaille, se révolte ou s’apaise…
Daniel n’a pas bronché, pas pris partie dans notre dilemme; il m’a paru un peu poltron sur le coup. Et du coup, le jeune lui disait : « You are a good guy, but your wife (!), bad woman, bad! » Pff, facile d’avoir le beau rôle, quand on n’ose pas donner son opinion!
Fatiguée, je rentre avant la nuit et me cloître dans la petite maison de Njiro. Je cuisine, me plonge dans mon livre « la Ferme Africaine », j’écris, fais un peu de lessive… difficile de sortir de l’affect quand on n’a personne à qui parler. Autant aller se coucher!