Douces réflexions
Il y a quelque chose d’impalpable qui se dessine ici. Le temps, d’abord, ne s’écoule pas de la même façon. Je suis arrivée tourmentée, en fuite. Avant ce voyage, j’attendais que le temps panse mes blessures. Puis j’ai eu recours à l’espace, j’ai mis de la distance entre la cause de mon tourment et moi. Aujourd’hui pour la première fois depuis plus d’un an, je ressens les prémisses de ma guérison. Ici j’apprends à ne faire qu’une ou deux choses par jour et m’en trouver bien.
Je pensais que ça me rendrait folle, cette lenteur africaine, cette façon d’ignorer le souci du lendemain, cette éternelle absence de ponctualité. Maintenant, je m’arrête tous les dix pas pour discuter avec des inconnus, je prends le temps d’observer le rythme lourd des mamas fatiguées, la gravité des visages des enfants, la résignation des jeunes cachée sous une joyeuse insouciance.
Le ciel bas et gris dissimule le Mont Meru. Hamna Shida! Je ne suis plus pressée de le voir. Ce matin j’ai marché aux côté d’Osman, vendeur de T-shirts sur lesquels on peut lire: « Mimi ni Mzungu, lakini sina pesa! » = « Je suis Blanc mais je n’ai pas d’argent! » Osman m’a salué d’un » ça roule, ma poule? ». Ca fait un drôle d’effet. J’ai ensuite fait la connaissance de Fikiri « celui qui réfléchit ». Les gens de la rue se donnent volontiers des surnoms. Fikiri est veuf avec deux petits enfants. Il dit que son épouse s’est faite renverser par une voiture il y a deux ans. Melvin et Mike m’ont confirmé son histoire, tout en me faisant comprendre que rien n’est sûr. On préfère parfois inventer une histoire quand la vérité nous semble honteuse. Le sida fait des ravages, mais jamais on ne prononce son nom.
Le retour du scoubidou
Derrière le musée d’Arusha – j’en aurai fait tout le tour- se trouvent quelques échoppes tenues par des vendeurs un peu plus chanceux. C’est là que je rencontre Seleman, un grand rasta qui ponctue toutes ses phrases de « One love » ou « Jah live ». Il fabrique des bijoux en perles, façon Maasaï, et vend toutes sortes de souvenirs, peintures tinga-tinga, sculpture d’animaux en bois, tissus africains. La journée, il est ici; le soir il prend un stand à la sortie des discothèques d’Arusha et Moshi.
J’ai sur moi des fils à scoubidous que j’avais apporté dans l’espoir de faire un atelier pour les enfants. Mais c’est le cœur des vendeurs de bijoux que j’ai conquis en quelques secondes! Nous passons l’après-midi à tisser les fils en plastiques. Seleman me demande de lui en envoyer à mon retour en France. A nos côtés, le marabout du musée déploie ses larges ailes. Je crois qu’il apprécie notre compagnie.
Je rejoins Melvin au Mamcho Garden. La serveuse est tout sourire, je me sens presque habituée! Au bout d’une heure, elle revient, l’air gênée, et parle à Melvin en swahili. Il m’explique qu’elle a fini son service, mais n’ose pas nous encaisser de peur d’être impolie. C’est un comble! Je la rassure en lui disant qu’en Europe, on encaisse souvent en suivant, et que nous n’y voyons aucun mal. Il y a des restes de colonialisme, par ici!
En fin de journée, je passe à la gare chercher mon billet de bus pour Babati. Demain, je pars pour quelques jours chez un couchsurfer français qui travaille dans un hôpital de brousse, pour une ONG. Osman, que je croise au milieu d’un rond point, me lance: « Tu n’as toujours pas vu le Mont Meru? Alors peut-être, retourne-toi! » Derrière moi, je vois enfin le sommet de la montagne, dégagé, dans les rayons du soleil couchant. Voilà, je peux quitter Arusha.