Chez Laizer

Au travail !

J’aimerais vous parler de Laizer, le chef Maasai d’une grande boma (village). Il vit dans un enkang (ensemble d’habitations traditionnelles ceint par une clôture d’arbustes épineux) à l’est de l’aéroport, c’est le début de la grande steppe Maasai qui s’étend au sud jusqu’à Dodoma. Une terre très aride où les femmes font des kilomètres pour aller chercher de l’eau au puits, et d’où il faut partir en transhumance les mois les plus secs pour emmener les troupeaux paître l’herbe tendre des terres de l’ouest.

Laizer a décidé d’ouvrir son village au tourisme culturel afin de soutenir l’économie de la communauté, financer les formations des jeunes qui souhaitent poursuivre leur scolarité, développer l’élevage, aider aux frais médicaux des familles. A peine arrivés nous voyons les femmes occupées à la construction d’une maison pour les hôtes. Au boulot! Elles nous apprennent à faire le mélange de terre, eau et bouse de zébu qui va colmater les espaces entre les branchages et isoler très efficacement la maison.

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Cette maison va permettre d’accueillir des voyageurs pour la nuit. Elle a été placée un peu à l’écart du centre du village, pour que chacun conserve son intimité. Auparavant les rares visiteurs dormaient là où je vais m’installer pour la nuit : ma claustrophobie sera mise à l’épreuve…

Mais déjà le bétail est en vue, et l’heure de la traite arrive.

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Je vais dormir dans une hutte traditionnelle, basse et colmatée de partout à l’exception d’un petit trou auquel je vais coller mon nez toute la nuit, car par bonheur il est à hauteur du lit.

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Le lit est une litière de branchages, recouvert d’une couche de fourrage et de peaux de chèvre. Après avoir testé, j’ai décidé que, juste au cas où, on apporterait des matelas la prochaine fois, ou alors il faut vraiment rajouter deux-trois bonnes couches de fourrage!

En dehors du manque d’oxygène et du mal de dos,  j’ai passé une très bonne nuit ! Non, vraiment, sans ironie, il y a quelque chose de magique à dormir de la même façon qu’il y a mille ans, et je pense à ces éleveurs qui, en France, juste avant l’avènement de l’électricité, partageaient la maison et l’âtre avec les troupeaux. L’odeur des herbivores est mon odeur du bonheur! Les bruits des bêtes et leurs petits, juste à côté, les grillons, les hommes qui déroulent la langue Maa au dehors, le feu qui crépite, n’est-ce pas à vivre une fois dans sa vie? « Voir » les Maasais peut être un rêve, mais quand on le vit, on comprend que les autres sens sont bien plus émus: sentir, écouter, toucher « kimaasai » (à la manière Maasai).

A l’aube, en quête d’air frais, je sors de la hutte. Tout est endormi. Et là bas, discret comme parfois la lune peut l’être en pleine journée, un sommet se dessine à l’horizon. C’est le Mawenzi, à 5 149 mètres, qui émerge sur la plaine.

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C’est pas très impressionnant, en photo, comme ça… mais l’amas de nuage à gauche, s’il se déplace, c’est la splendeur du massif entier du Kilimanjaro qui apparaît; combien de fois je retiens mon souffle, combien de fois le sommet du Kibo joue à cache cache, surgit furtivement, disparaît à nouveau, par dessus, par dessous les strates cotonneuses!

Et nous voilà comme des anglais, à boire le thé au lait et les petits biscuits en parlant de nos cultures. Laizer me demande pourquoi les femmes mettent des pantalons. Je réponds que c’est pratique, et correspond à notre époque; qu’il y a longtemps, les hommes portaient des robes, comme ici, j’explique les Romains, Laizer explique ses traditions. Il pensent que les jeunes doivent avoir le choix, et soutient autant les gosses qui souhaitent faire des études que ceux qui restent à la vie pastorale.

Si je veux aller au marché Maasai? Evidemment!

Laizer prend mon appareil photo, qu’il gardera dans sa main ballante, mitraillant tous les recoins du marché sans aucun intérêt pour le cadrage et le niveau de l’horizon. Je poste ici celles qui par hasard, sont réussies!

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Voilà un étal qui m’a fait grande impression: la médecine naturelle des Maasai ! Bien entendu j’ai demandé « c’est quoi ça? » pour la moindre poudre, épice, racine, herbe que ces petits sacs contenaient. Le vendeur est resté très patient malgré nos efforts interminables pour traduire un nom Maasai en swahili puis en anglais puis en français. J’ai bien entendu tout oublié depuis.  J’ai fini par acheter une poudre de racine de je ne sais plus quoi ( sijui en swahili ^^) contre le rhume, et … une bouse d’éléphant séchée. Enfin, de l’herbe digérée quoi. C’était le premier contact, depuis j’en ai fumé aussi, qui sait quand j’en mangerai !

Plus tard dans le séjour, à Babati, un gros rhume m’a terrassée toute une journée: le soir, trois cuillers de cette poudre (un goût de… terre au piment…) , une inhalation de caca d’éléphant, et tout est parti en une nuit. Je vous en ramène la prochaine fois? (Bon par contre je vais éviter de l’acheter car on en trouve par terre,  quand même ! )

Réflexions sur le tourisme culturel

J’ai décidé que j’inciterai les gens à passer la nuit chez les Maasai.  Parfois on m’avoue une crainte tout à fait défendable: « On ne veut pas aller dans les pièges à touristes » . Mis à part quelques villages du bord de la route en allant au Serengeti,  qui sont connus pour être des reconstitutions, un peu comme nos écomusées, on a peu de chance d’être déçu d’une visite aux Maasai, à condition d’éviter les visites éclairs bien entendu. Inutile de réfréner notre curiosité ou de craindre d’offenser ce peuple qui a un grand sens de l’humour et peu de sujets tabous.

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Bien entendu, si l’on sent que les villageois font des démonstrations à contre cœur, s’ils ont une mine contrariée, il peut y avoir un problème, mais dans ce cas, je suggère de leur parler. Rien n’empêche de leur dire qu’on ne peut pas apprécier qu’ils fassent quoi que ce soit de manière forcée. Cela m’est arrivé chez les Hadzabe. J’étais indignée qu’un grand père qui avait manifestement mal à une jambe participe à la danse. Je l’ai dit, il m’a remerciée, s’est arrêté,  et j’ai décidé de ne plus jamais envoyer de voyageurs chez les Hadzabe. C’est très différent pour eux. Ils ne connaissent que très peu le monde qui les entoure, ils ne croient pas que tout change, alors qu’ils sont anéantis par le tourisme forcé. Les Maasai, aujourd’hui, proposent du tourisme culturel de leur plein gré. Si on a des doutes, pourquoi ne pas se renseigner: combien gagne le village sur votre visite? Combien pour l’agence? Est-ce équitable? Poser ces questions, après tout, c’est s’enquérir du bien être de nos hôtes.

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Bienvenue chez les authentiques Maasai de 2017 !

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La Tanzanie change la vie!

Développer le voyage solidaire

C’est toute ma vie professionnelle qui a été bouleversée par ce pays. En recommandant d’abord mes rencontres tanzaniennes à des gens de mon entourage, puis à des lecteurs de mon blog, j’ai découvert avec surprise que j’étais faite pour organiser, conseiller, repérer, prospecter, sélectionner, et développer une activité autour du voyage avec des valeurs solidaires et équitables. J’ai acquis l’expertise du terrain, que ce soit de la connaissance des itinéraires, des saisons, de la faune sauvage, des ethnies, de la culture swahilie, mais aussi la connaissance approfondie du fonctionnement des agences de voyage locales, les tarifs pratiqués, les relations entre tous les acteurs du tourisme, les dérives du tourisme de masse, et la manière de rétablir l’équilibre, en circuit court,  dans un objectif de tourisme durable.

En onze ans j’ai aidé des petites agences locales à avoir une visibilité parmi les voyageurs francophones, grâce aux bons commentaires des clients à leur retour, sur les forums des guides touristiques.

Avec les chauffeurs de Osiwoo Safaris

Chaque année depuis onze ans, je suis retournée en Tanzanie pour développer cette activité et accomplir les missions listées ci-dessous:

  • accompagner un groupe sur un séjour aventure
  • travailler avec mes partenaires locaux Osiwoo Safaris et Amo Zanzibar Tours
  • assurer un suivi des projets que l’on soutient tels que le village d’Alais et les enfants des rues de Moshi (cf. ci-dessous)
  • visiter des hôtels, contrôler leur qualité, rencontrer de nouveaux gérants d’établissements
  • former et accompagner nos stagiaires
  • tester des prestations, activités, repérer de nouveaux territoires
  • s’immerger dans la culture swahilie pour de meilleures relations inter culturelles
  • faire de la formation continue pour les guides francophones et les chauffeurs de safari

En 2016 notre association de voyage solidaire a vu le jour, TUMBILI.

Banderole Finale

Tumbili, expertise et solidarité

Notre objectif est de promouvoir le voyage utile et responsable, en soutenant des initiatives locales en Tanzanie et à Zanzibar. J’ai rencontré des acteurs locaux du changement, que ce soit dans le domaine de l’éducation, l’environnement, la santé ou la conservation animale. De petites associations créées par des natifs ou habitants du pays méritent qu’on les mette en lumière!

Tumbili propose aux voyageurs de visiter les villages et projets que nous soutenons, afin de les financer directement et témoigner de leur développement.

La démarche a intéressé un prospecteur du Petit Futé, Jean Marc, qui est allé tester les services des agences locales lors d’une tournée en Tanzanie: et hop! Tumbili est référencé ici , et bien sûr nous avons des avis Google et Trip Advisor !

Parmi les Tanzaniens aux initiatives sociales fortes, voici le plus important à nos yeux: Morgan. Il était notre ami, il est toujours notre lumière, notre inspiration.

Morgan et un de ses protégés

Il est né à Moshi, et a été placé d’orphelinats en familles d’accueil jusqu’à un âge où il a pu se prendre en charge. Son expérience lui a soufflé la vocation d’accompagner les enfants qui subissent la même situation: il a créé une association, « Pamoja Tunaweza Boys and Girls Club », qui signifie « Ensemble on peut », pour aller à la rencontre des enfants qui vivent dans les rues de Moshi.

Etre présent, et attentif à leur évolution et les dérives possibles, prodiguer des conseils sur l’hygiène, la sécurité, organiser des ateliers de création artisanales recyclées à partir d’objets de récupération afin de leur permettre de générer de petits revenus, Morgan avait fort à faire chaque jour et l’argent que nous apportions permettait le fonctionnement de l’association et le développement de projets importants pour les enfants.

En mai 2021, Morgan est brutalement décédé dans un accident de la route, laissant nos gamins doublement orphelins. C’est alors que Stanley s’est investi à 200% pour reprendre le flambeau et assurer la pérennité de l’entreprise de Morgan.

Voyez notre collecte la cantine des gosses de Moshi !

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En 2017, j’ai entrepris un voyage de prospection acocmpagnée de Stanley, et cela a suscité une profonde réflexion chez tous les collaborateurs de Tumbili et Hotsun, la première agence locale avec qui j’ai travaillé. Ce voyage-clef a donné le jour à une nouvelle entreprise solidaire au pied du Mont Kilimanjaro: Osiwoo Safaris.

Depuis, Osiwoo Safaris a fait sa place parmi les agences  reconnues, notamment des voyageurs francophones, car il elle est composée d’une équipe expérimentée, dynamique et engagée dans le soutien aux communautés locales. Les avis sont unanimes, et nous savons pourquoi. Nous travaillons sans relâche et sommes fiers du chemin parcouru ensemble.

Voici toute notre histoire dans ce blog.

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La forêt de Jozani et le centre des papillons de Pete

Une espèce endémique

Rien ne m’excite plus que de savoir que je vais voir une espèce qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde. Même si ce n’est qu’une sous espèce. Les colobes bai de Kirk, ou colobes roux de Zanzibar, sont appelés par les habitants « singes poison » (kima punju). Cela viendrait de leur odeur, mais a fait dériver les croyances et l’on raconte à tort qu’ils tuent les arbres sur lesquels ils vivent. Ils ont été tués à cause de cette histoire, mais aujourd’hui ils sont protégés dans le parc national de Chwaka Bay et notamment la forêt de Jozani.

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Les singes sont parfois loin dans la forêt, parfois au bord de la route. Les voitures ralentissent pour les regarder traverser, mais il est interdit de s’arrêter prendre des photos sans régler les droits d’entrée qui vont à la conservation de l’espèce.

On se rend d’abord au guichet où l’on peut se documenter à l’aide de quelques panneaux explicatifs, puis le guide nous emmène dans la forêt. Généralement il n’y a rien à craindre, mais nous avons fait une rencontre venimeuse!

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Les colobes sont dans la forêt. Ils sont magnifiques, avec leur nez rose et leur pelage hirsute. Ils n’ont pas peur des visiteurs. Je les observe longtemps, face à face entre primates…

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Il existe d’autre colobes roux, par exemple dans le Parc National des Udzungwa Mountains, on peut trouver la sous espèce d’Iringa. Ils n’ont pas ce panache blanc autour de la tête.

Nous allons ensuite visiter la mangrove un peu plus loin, avec force d’explications sur cet étonnant écosystème.

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Pour le déjeuner, une mama locale nous a préparé un plat typique de Zanzibar, du poisson en sauce aux épices, riz pilau, cortège habituel de fruits et chapati. Hmmm!

Un cercopithèque diadème ou singe bleu

Un cercopithèque diadème ou singe bleu

Il reste à visiter le centre d’élevage de chenilles au village de Pete. Rien de spectaculaire car les papillons sont de tailles et de couleurs tout à fait ordinaire, mais l’initiative vaut le détour si on le combine avec Jozani. Afin de commencer à préserver la forêt que les habitants exploitaient sans mesure, il a fallu donner une autre source de revenus aux villageois. On leur a donc proposé d’élever des papillons et d’en faire un centre touristique. Les habitants, et habitantes, car c’est une activité qui promeut aussi le travail des femmes, se chargent de nourrir les chenilles, récolter les cocons et les ramener au centre pour l’éclosion.

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J21 – Le Safari Blue

Une excursion en boutre traditionnel

C’est marée basse. Les bateaux sont amarrés, les pêcheurs qui ont travaillé toute la nuit doivent dormir à présent. La plage est déserte , mis à part quelques enfants  qui jouent avec des pierres de corail mort. J’en profite pour observer la petite faune aquatique qui fait des bulles.

observer les bêbêtes, une passion...

observer les bêbêtes, une passion…

Le boutre du Safari Blue est amarré où l’eau a un peu de profondeur, c’est donc à nous de s’en approcher et l’équipage nous aide à monter à bord. Toujours penser à prendre son maillot pour pouvoir enlever le bas: on a de l’eau jusqu’à mi cuisse!

Pour partir, le capitaine allume le moteur, mais au moment où nous apercevons les nageoires de trois dauphins, il le coupe et nous attendons leur réapparition en silence. Méditations sur l’immensité de l’océan, exclamations de ravissement…

Après une demi heure de balade, nous arrivons à un petit lagon fait de pierre de corail et d’arbres à mangrove. Se baigner dans une eau si claire et turquoise, quel bonheur.

entrée du lagon

entrée du lagon

L’appétit ouvert, nous partons déjeuner sur une île déserte où les cuisiniers du Safari Blue attendent tout sourire derrière des barbecues : brochettes de poisson frais, calamars, riz et dégustation de tous les fruits existant sur l’île.

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Après le repas, on a droit à un baptème de Ngalawa, une pirogue traditionnelle à balancier, creusée dans un tronc de manguier.

le ngalawa

le ngalawa

Enfin, un retour en douceur, la voile déployée et pour seule musique le vent et les flots… au crépuscule, s’engouffrer dans les petits bras tentaculaires de Stone Town, au son du muezzin et des rires des habitants qui ont fini leur journée. Tandis que les pêcheurs, eux, se réveillent…

 

J 20 – Stone Town et Prison Island

Prison Island

Nous voilà donc vraiment en vacances! Tels les rédacteurs pionniers du guide du Routard, nous négocions les tarifs pour tester le maximum de prestations en quelques jours. A commencer par l’île de Changuu, qu’on appelle Prison Island. C’est ici qu’un esclavagiste arabe gardait les esclaves rebelles afin qu’ils ne puissent pas s’échapper. En 1820, le sultan Saïd a rapporté des tortues des Seychelles et depuis elles vivent une vie tranquille parmi quelques paons. La plus âgée a 196 ans… calculez, elle a connu le sultan!

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Grattez la sous le cou, elle se lèvera!

Grattez la sous le cou, elle se lèvera!

Les tortues sont la seule attraction de l’île, il ne faut pas s’attendre à autre chose. Ill y a un hôtel-restaurant sur l’île, mais impossible de savoir s’il est parfois ouvert… Avant le retour, on peut se baigner sur la plage déserte.

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Le retour au port de Stone Town est toujours un bonheur, grâce à la merveille architecturale qu’est le Tembo Hotel, avec ses vitraux colorés et sa terrasse de manguiers.

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Tembo Hotel

Tembo Hotel

Faire un voyage de repérage, c’est bien sûr avoir la chance de tester les prestations, mais vous n’imaginez pas le nombre d’hôtels visités chaque jour, de managers rencontrés, de kilomètres parcourus au pas de course. C’est quand même du boulot! J’ai une belle collection de photographies de chambres d’hôtel, toutes sont annotées selon des critères rigoureux: accueil, service, confort, etc. Les employés qui m’ouvrent les chambres essaient de réprimer leur gêne lorsque je teste la qualité des matelas…Je vous fais visiter le Tembo Hotel?

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On peut parfaitement juste venir y prendre un verre, ce que je ne me prive pas de faire. Ce carrelage en damier me plaît vraiment, et près du bar les ventilateurs tournent langoureusement. A Stone Town, il y a quelques magnifiques « palaces » , et le Tembo est l’un des moins chers. 125 USD $ la chambre double, c’est correct non?

J 19 – Stone Town – arrivée au port

Aller à Zanzibar

Après quelques jours de repos bien mérité à Moshi, nous partons à la découverte de Zanzibar. Un petit point sur le trajet pour s’y rendre.

Il existe plusieurs manières de faire Arusha-Zanzibar, ou Moshi-Zanzibar:

– la voiture privée: que ce soit par une agence ou en louant un véhicule, c’est vraiment trop cher. Il y a 550km, et le prix de l’essence ne cessant d’augmenter, avec un pic cet été 2015, on ne peut pas s’en sortir à moins de 700 USD $. Alors à moins d’être au moins 5 dans un véhicule, c’est plus cher que le vol domestique, puisqu’il faudra encore ajouter le ferry.

– l’avion: le vol interne Arusha-Zanzibar se situe entre 200 et 250 USD $ par personne. 1h30 de vol, c’est le plus agréable si on a peu de temps pour profiter du séjour.

– le bus express: c’est le moyen de transport le plus économique. On compte environ 35 USD $ par personne. On arrive à la gare routière de Dar es Salaam en… 11h. Franchement pas recommandé. De là il faut rejoindre le port pour prendre le ferry. Un taxi est négociable pour environ 20 USD $, puis la traversée en ferry est à 40 USD $ par personne. Un conseil: réserver ses billets un jour avant, par une agence, car les gares routières sont vraiment dures pour les nerfs. Tout le monde essaie de faire son beurre sur les tickets, on est assaillis par les revendeurs, idem pour le port. Ne pas demander de renseignements pour éviter d’être mal dirigé ou arnaqué sur le prix des billets.

On prend donc le bus à Moshi à 6h du matin, mieux vaut se coucher tôt la veille! J’ai déjà fait ce trajet et je n’ai pas un bon souvenir de la qualité des bus, mais cette fois on a de la chance, les fenêtres ne sont pas bloquées en position ouverte ou fermée… le bus est de bon standing.

Paysages - Maison Nengereko

Paysages – Maison Nengereko

Dans le bus

Dans le bus

Paysages - maison Zigwa

Paysages – maison Zigwa

sur la route, les vendeurs de fruits

sur la route, les vendeurs de fruits

7h plus tard à Dar, à l’entrée du sas pour embarquer sur le ferry, des ados nous assaillent pour porter nos bagages et se faire quelques dollars. Depuis je me suis souvent disputée avec eux (et j’ai vu des tas de touristes dans des états indescriptibles de colère) car malgré le prix convenu au départ, certains ne sont jamais satisfaits et demandent plus, jusqu’à 10000 Tsh par bagage, pour faire 20 mètres. Ils sont nombreux, les pauvres, et ne vivent que de ça, mais ils finiront par comprendre qu’embêter les gens est le meilleur moyen pour ne rien obtenir. Depuis j’ai appris à repérer les plus corrects, qui se tiennent souvent un peu à l’écart, et sont plus polis.

J’ai toujours aimé prendre le ferry. Le Kilimanjaro II de la compagnie Azam Marine, est moderne et bien entretenu. Le port de Dar s’éloigne, le grand large s’impose. A bord, plus de locaux que de touristes. Certains dorment dans la salle principale, où passe des films de Jackie Chan. D’autres, tout sourire, prennent les embruns sur le pont ou à l’étage. Des îlots isolés font leur apparition. Le nom Zanzibar englobe des dizaines d’îles et peu sont habitées. L’île principale que nous appelons communément Zanzibar a pour nom Unguja. Bientôt, sa capitale Stone Town (appelée aussi Zanzibar Town), se profile à l’horizon. J’ai l’impression d’être dans un autre temps.

Unguja - Stone Town

Unguja – Stone Town

Nous débarquons, accueillis par Khelef, qui va nous héberger dans une maison dont il est propriétaire. La nuit va bientôt tomber, et nous partons pour une promenade aux jardins Forodhani, à 50 mètres du port. Ici, tous les soirs, des étals de nourriture à emporter sont dressés, et les habitants de la cité ont pour habitude d’y faire un tour au milieu des dizaines de chats des rues qui quémandent des restes de dîner.

poulpe et bananes à Forodhani

poulpe et bananes

Khelef

Khelef

les jardins Forodhani

les jardins Forodhani

Un petit voleur bien caché

Un petit voleur bien caché

le palais des merveilles

le palais des merveilles

le vieux fort

le vieux fort

Il règne une quiétude, une langueur que je ne connaissais pas ailleurs. ici on presse le jus de canne, là on prépare la pizza de Zanzibar et son haché menu de légumes frais, les familles s’asseyent sur les murets de pierre et s’amusent à regarder les chats qui se régalent de tout ce qui tombe par terre. On est bien, ici!

Je suis attirée par des exclamations, comme des encouragements du côté du port. C’est le coin des ados. Leur passe-temps préféré au crépuscule, c’est de faire des figures libres pour sauter dans l’eau. On s’amuse beaucoup à les encourager, et pousser des « hoooo » en frémissant de leur témérité. Chaque fois que je reviens depuis, j’aime m’asseoir sur le mur face à leur attroupement, jusqu’à la nuit tombée, et regarder avec beaucoup de tendresse cette innocente battle de jeunes Zanzibari à l’arrogance plus ou moins feinte.

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J17 – Barafu camp – Stella Point – Moshi

L’ascension de nuit

Mon guide a eu la délicatesse de me laisser dormir jusqu’à minuit au lieu de 23h. La fraîcheur de la nuit me donne un coup de fouet. Comme chaque matin, je fais mon sac en buvant un thé brûlant, mais cette fois dans le noir. Il y a du remue ménage autour mais je ne distingue que quelques lueurs de torches. Huit heures de sommeil m’ont fait du bien et je me réjouis intérieurement du caractère ultime de la prochaine marche. Hier j’ai vécu la plus longue journée de ma vie, et je ne sais pas encore que je m’apprête à connaître ma plus longue nuit. Dans cette immense obscurité, un train de lumière s’est mis en marche. Chaque marcheur a sa lampe frontale. Comme des nains dans une mine. On se met à la file.

Pendant 5h, on ne voir que de la roche et du sable noir dans les cercles lumineux. A peine une heure après le départ, un vent glacial s’est levé, infiltrant lentement chaque micro ouverture dans nos triples couches de vêtements. Parfois, comme au Barranco wall, j’entends un pas de course au loin. Mais ce ne sont plus les porteurs qui nous dépassent: ce sont les guides qui redescendent, soutenant un marcheur trop faible ou malade pour continuer. Non, le Kilimanjaro, c’est pas de la rigolade. Je comprends aussi les gens qui parlent de challenge mental plus que physique. J’ai rarement autant peiné à me relever à chaque fois que je tombais. Les guides disent que cette ascension se fait de nuit car la vue de jour serait décourageante.

Après cinq heures dans un vent terrible, après avoir vomi de trop d’efforts une paire de fois, après avoir hésité à renoncer à chaque chute, après donc la plus dure nuit de mon existence, dont je passe volontairement tous les détails pénibles et émotions violentes, Johnson et moi arrivons au Stella Point, et à la vue du panneau, je m’écroule au sol, avec une seule envie, dormir.

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Les parcs nationaux nous félicitent par un panneau en forme de store. Est-ce qu’il y a un drapeau au Uhuru Peak, 200 mètres plus haut? J’ai du mal à croire que nous sommes à cette altitude. C’est comme toucher le fond de l’océan ou atteindre la lune. Mais je n’ai pas le cœur à faire des bonds comme Buzz Aldrin. Le soleil se lève sur le Mawenzi. Johnson fait quelques photos des alentours pour moi,  c’est beau à mourir. En parlant de ça, mon état me fait peur, je n’ai jamais été si faible.

« On continue ou on arrête là? me dit mon guide. Sa voix ne reflète aucune opinion sur la décision à prendre. C’est à moi de parler.

– Combien de temps jusqu’au sommet?

– 3/4 d’heure pour le Uhuru Peak.

Je réfléchis. S’il me dit ça, c’est que c’est un peu plus. J’ai appris à interpréter ses informations. C’est un bon guide, il sait qu’il faut parfois minimiser, parfois grossir les difficultés.

-Combien pour redescendre au campement?

– Deux heures. Mais une fois au camp on se repose deux heures et on descend encore. Il ne faut pas rester trop longtemps en altitude.

Je ne réfléchis plus.

-On descend.

-Sûre?

– 5739 mètres, c’est assez pour moi. »

Et puis d’ici, on voit déjà un bout du glacier. C’est vraiment beau, mais je n’en peux plus. Je ne suis plus rien. Un tas de membres endoloris qui repousse de violentes vagues de fatigue. J’aimerais dormir sur place, mais Johnson me gronde.

« Quand on s’endort en haute montagne, on meurt. »

 Péniblement il m’aide à me relever, et constate que je ne tiens plus debout seule. Je sens qu’en me voyant à la lumière du petit jour, il commence à s’inquiéter. Alors que je ne suis plus tout à fait consciente de ce qui se passe, il entreprend de me donner un support. Il me soutient par dessous l’épaule et entame la descente.

Cette descente, ce n’est pas de la marche, c’est… une dégringolade qui se transforme en envol. Johnson a décidé de couper au plus court, c’est à dire par les flancs sablonneux. Nous nous mettons à glisser, puis en prenant de la vitesse, il me soulève littéralement  et, sous l’effet de l’altération de mon esprit engourdi, je me sens enfin légère et heureuse. Je suis devenue un chamois à deux têtes bondissant dans le soleil levant.

De cette façon, on ne met pas longtemps à atteindre le camp. Moins d’une heure je pense. Enfin le camp se dessine au loin, on ralentit, doucement, jusqu’à l’arrêt. Ma tente m’engloutit.

Cinq minutes après, Johnson me réveille.

« Stéphanie?

– Hmmm.

-On y va?

-Non.

-Si, allez, un thé et on y va.

-Non, j’ai dis non.

-Stéphanie?

-J’AI DIT NON, T’AS DIT DEUX HEURES, JE DORS DEUX HEURES, ET MERDE! »

En réalité j’avais déjà dormi deux heures. Il m’a laissé une heure de plus. Je pense qu’il était inquiet et préférait atteindre les 4000 mètres au plus vite.

Retour à une altitude décente

 Bien sûr après ce court repos  je n’ai pas récupéré, mais la perspective d’un lit ce soir me donne du baume au cœur. Le début de la marche n’est pas facile, mais après cette terrible épreuve, mon moral revient, en même temps que ma lucidité. Je constate que je n’étais plus moi-même. Il y a eu dissociation entre mon corps et mon esprit à plusieurs moments. L’altitude modifie l’organisme, et plus je descend, plus je me sens à nouveau en phase avec l’habitat qui m’entoure. Mon monde se trouve en dessous de 3000 mètres. Au delà c’est un univers post apocalyptique magnifique et effrayant.

La végétation surgit peu à peu, d’abord rare et hirsute puis plus fournie et accueillante; avec elle apparaissent les premiers insectes, enfin les oiseaux. La voie Mweka qu’on emprunte pour la descente prend des couleurs, renvoie des sons harmonieux et des parfums de broussailles séchées. Tiens, le paradis est en bas finalement.

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Voyant que je recommence à prendre des photos, Johnson me donne les noms des plantes et leur usage. La fatigue n’a pas d’emprise sur lui, je suis impressionnée. Et nous nous mettons à babiller.

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 Soudain, un camp est en vue.

« C’est le Mweka camp, 3100 mètres. On va s’arrêter se reposer. Sawa?

– Sawa. »

Lorsqu’on arrive au camp, je vois le cuisinier et les porteurs qui déjeunent. Leur tente est montée; à côté, la mienne.

« Mais! Johnson, on s’arrête jusqu’à demain, c’est ça le plan?

-Oui, tu vas pouvoir reprendre des forces. »

Je devrais me réjouir de n’avoir marché que trois heures depuis mon réveil. Pourtant je suis ébranlée par la nouvelle. Une idée fixe ne me quitte plus: dormir dans un lit ce soir.

« Johnson, combien de marche jusqu’en bas?

-On n’aura que trois heures demain matin.

– Alors désolée que vous ayez monté les tentes, mais on continue. »

Toute l’équipe me regarde complètement incrédule. Je les inspecte pour voir si je ne demande pas un effort surhumain, mais tout le monde a l’air en forme. Ils n’ont pas fait l’ascension de nuit, eux. Seul mon guide pourrait protester, mais au lieu de cela, il mâchouille un brin d’herbe et me dit d’un air amusé:

« Ok patronne, comme tu veux. Hakuna matata.! »

Un déjeuner frugal, et on repart.

J’entre dans la forêt vierge aux lianes de mousse comme dans un bain chaud. Les arbres immenses qui frangent le sentier sont de bienveillants gardiens des espèces qui s’y cachent. Je me sens heureuse et réconfortée d’être entourée de toutes ces formes de vie. Le parfait biotope. Et je bénis les parcs nationaux qui préservent l’environnement contre la déforestation qui sévit plus bas.

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Les porteurs nous dépassent en riant. Je crois qu’ils sont assez contents de faire cinq jours au lieu de six. Ils rejoindront leur famille plus tôt. Le soir Ally me dira que, les ayant payés d’avance pour six jours, ils auront demain un jour de congé payé!

Voici les deux magnifiques rencontres surprises de cette fin d’ascension.

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Les singes colobes guereza vivent à la cime des arbres. Ceux-ci nous observent silencieusement tandis que nous passons dessous. C’est un toujours un bonheur de voir dans leur milieu naturel des animaux qu’on n’a jamais vu qu’au zoo!

Petit calcul mental: 10h+6h+3h+3h= 22h de marche depuis hier matin… A la porte du parc, on me dit d’aller chercher mon diplôme au bureau. Un employé remplit les champs libres.

« Vous avez atteint un sommet?

-Oui le Stella Point, dis-je d’un air coupable.

-C’est déjà pas mal mademoiselle. Nos félicitations. »

J’ai un peu peur qu’Ally soit décu que je n’ai pas atteint le Uhuru Peak. Mais à mon retour à Moshi, il m’accueille chaleureusement. Il me félicite aussi, et me fait la surprise d’un grand dîner préparé par Samweli et sa femme (son bras droit et cuisinier principal). Il a dû l’organiser vite puisque mon retour n’était prévu que demain!

Et contre toute attente, ce soir-là, je n’ai pas envie d’aller me coucher, et je dévore tous les plats avec un appétit vorace. Oui vraiment, l’altitude, ça vous change un homme.

J16: Barranco-Barafu Camp

Le mur du challenge

Pour la première fois, ce matin, je me sens d’attaque! Parée pour l’ascension du Great Barranco Wall qui s’élève devant le camp. C’est plus une falaise qu’un mur: ses 260 mètres de haut paraissent bien plus vus d’en bas. Johnson me lance, en haussant les sourcils d’un air solennel: « parfois certains ne gardent pas leur petit déjeuner… »

Après une demi heure de marche on atteint la paroi rocheuse. En levant le regard, on peut voir une ligne de pointillés à mi-hauteur. Certains porteurs sont déjà presque au sommet. C’est parti.

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DSC_0200Nous sommes tous en une infinie file indienne. On n’entend que le souffle des trekkeurs et le son des chaussures qui tapent, frottent, dérapent sur les pierres. De temps en temps, derrière soi, au loin un bruit de course prudente mais rapide: on se colle à la paroi pour laisser passer le vaillant porteur. On en croise parfois aussi un assis, en sueur, qui ne se sent pas très bien. Les porteurs aussi sont sujets au mal des montagnes. On s’encourage d’un hochement de tête, d’un signe de la main, sans parler, pour économiser le souffle.

Deux heures après, on atteint le sommet. Un regard vers le bas : le camp quitté le matin semble très loin vu d’ici. Il y a des explosions de joie, des chants, des soupirs de soulagement. Un groupe déclenche une mode: la photo où tout le monde saute en l’air en même temps. Certains sont si près du bord qu’un guide les sermonne. Soudain je vois un porteur isolé, assis sur un rocher les mains sur les genoux, à qui les autres jettent des regards furtifs, mi-inquiets, mi-admiratifs. C’est une femme. Johnson me dit qu’elles sont 9 porteuses en tout. Elles sont très considérées par les hommes. Je suis complètement émue d’un coup (l’altitude!) et j’ai envie de l’embrasser pour son double courage: faire un métier très physique, et n’avoir que des collègues masculins. J’ai bien fait de m’abstenir. Maintenant que je l’ai rencontrée, je sais qu’elle n’aurait pas apprécié! Mary est une femme fière et taciturne, qui n’a rien à prouver à personne et je l’admire beaucoup pour sa force de caractère.

On entame ensuite la Karanga Valley,  une descente désertique jusqu’à la réapparition de plantes dans le creux de la vallée. Cette rivière est le dernier point d’eau où les porteurs remplissent les jerrycans. Après cette étape, le chemin remonte. Je suis déjà fatiguée.

« Johnson, combien de temps de marche encore?

Il ne me répond pas. Comme nous sommes presque arrivés sur une crête, je pense qu’il veut attendre d’avoir le panorama pour m’expliquer. Il n’empêche que mon moral en prend un coup. Autant l’ascension du Barranco Wall, parce que je l’appréhendais, a été plus facile que prévu et assez ludique comparée à la monotonie de la marche quotidienne, autant là je commence à en avoir marre de la montagne. On arrive sur une petite crête. Un paysage lunaire s’étend à perte de vue, avec le Kibo à notre gauche, écrasant et superbe. Au loin, un scintillement fait penser que là se tient le camp. Il doit y avoir encore une heure de marche, ça fait quatre heures depuis le camp. Les gens qui passent poussent des exclamations en apercevant le prochain camp.

« Tu vois la crête, après le camp qu’on voit? Il y a encore une plaine à traverser, et notre camp est après. »

Ce n’est pas possible, je ne dois pas avoir bien compris. Je suis confuse mais on se remet en route sans que je demande plus d’explication. Je suis à un point où essayer de comprendre est un trop grand effort. En gros, à l’horizon, on n’est pas encore arrivés. Je m’enferme alors dans un mutisme très très mauvais pour le moral. Mon cerveau ressasse des idées noires et mon cœur se serre. Je me sens comme un enfant démuni face à des tourments qui le dépassent. Jamais une journée n’aura été aussi longue. Une phrase tourne en boucle: plus jamais. Quand on arrive au camp, je fonds en larme. Mon équipe m’attend, ce qui me réconforte un peu: eux aussi ils l’ont fait, et plus vite que moi. Ils me regardent, un peu désolés, sans trop savoir quoi faire.

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D’une voix faible, mais sans appel, je leur dis que je ne mangerai pas et que je vais dormir immédiatement. Je n’ai plus la force de rien. Johnson m’annonce qu’il me réveillera à 23h pour la dernière ascension de nuit. J’apprendrai par la suite que du camp Barranco au Karanga il y a 5 km, et 5 de plus pour le Barafu. J’ai l’impression d’en avoir fait 30.

J15: Shira – Barranco Camp

Haut les coeurs

Ce matin le ciel est d’un bleu magnifique, et mon ventre me laisse en paix. Du camp, on voit au loin la silhouette du sommet du Mont Meru dépasser d’une mer de nuages.

Au loin le Meru qui surplombe Arusha

Au loin le Meru qui surplombe Arusha

Je n’ai pas dîné hier soir, malgré les invectives de mon cuisinier. Par conséquent, je me jette sur le petit déjeuner avec appétit. Mais aux premières bouchées, quelque chose cloche. Rien n’a de goût, les fruits se ressemblent tous et les œufs sont du carton pâte dans ma bouche. D’ailleurs après une minute de mastication je suis écœurée. La cuisine de mon équipe n’est pas à remettre en cause, c’est ma bouche qui dysfonctionne. Un thé fera l’affaire.

En 2009 j’ai eu la grippe aviaire et comme conséquence une perte de l’odorat provisoire. J’ai lu que la perte de ce sens, et donc du goût en même temps, pouvait rendre gravement dépressif! Après le trek, j’apprendrai que c’est un symptôme rare du mal des montagnes. Tout bien réfléchi, c’est mieux que ces terribles migraines et ce manque de souffle dont j’ai entendu parler.

On s’est mis en marche au même rythme qu’hier et que demain; pole pole, mara kwa mara (doucement, tout droit). Johnson chantonne. En voilà une bonne idée. Pour oublier les kilomètres, rien de tel que le chant. Après s’être fait prier une bonne dizaine de minutes, il entreprend de m’apprendre une berceuse swahilie. Elle évoque la douceur du soleil, l’éclat des étoiles et les bienfaits de la pluie, mais qui ne sont rien comparés à l’amour d’une maman. Si maman me voyait, elle se fâcherait contre Johnson, Ally ou tout autre individu à proximité et m’ordonnerait de redescendre tout de suite me reposer.

Le paysage est lunaire. Il n’y a plus un végétal. Je demande une pause et mon guide me l’accorde volontiers. Soudain cette femme surgit. Cette femme que j’ai déjà vue hier. Elle a une particularité étrange: elle ne cesse pas de sourire.

attention...

attention…

Elle me ravit et m’énerve, je l’admire et je la déteste, elle est magnifique et désolante dans ce décor hostile et grandiose.

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et bam! Elle sourit.

 Moi aussi je voudrais en être capable, être en forme, profiter de ma chance, me délecter de l’effort!

Et je ne me pardonne pas d’être une aussi petite joueuse.

Johnson me dit « Souris toi aussi! Je te prends en photo! »

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J’aime les cailloux.

Navrant, n’est-ce pas? On se remet en route. Johnson m’explique la Lava Tower qu’on voit depuis un moment au loin et où l’on se dirige.DSC_0154

« On est partis du camp à 3840m, et là on va s’arrêter à 4600m. C’est le moment capital pour une bonne acclimatation, on risque d’avoir mal à la tête, mais il faut y rester au moins une demi heure. On en profitera pour déjeuner. DSC_0151

Ensuite on redescend au camp pour passer la nuit à 3900m. Sawa?

– Sawa. »

Il fait 10 degrés, il est midi, j’ai déjà envie de me coucher. Mais ça va, parce que je réalise par à coups ce que je suis en train de faire. On est en Afrique. Au plus haut de l’Afrique.

Promenade botanique

En contrebas, on entend le babil continu d’un ruisseau. La végétation réapparaît: lobelias, lichens et les premiers séneçons géants. C’est un drôle de paysage, et mon esprit se remémore des scènes verniennes fanstasmagoriques. Tout comme dans Voyage au centre de la Terre, je ne serais pas surprise de rencontrer un hydre écailleux au détour d’un champignon géant.

Séneçons géant

Séneçons géant

Lobelia

Lobelia

Johnson m’emprunte mon appareil photo et se met à mitrailler l’eau, les pierres, les feuilles, en regardant le résultat de son travail entre chaque prise. Quand il vient me montrer le résultat, je me mets à rire en découvrant ses cadrages acrobatiques. « Moi au moins je fais des photos » me lance-t-il un peu vexé. « Bon, je vais poser, prends des photos de moi maintenant. »

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Cette pose m’a rafraîchie et ragaillardie; il est à présent plus facile de continuer. Le coeur léger, on arrive au camp assez tôt pour pouvoir profiter du jour déclinant. Le camp est déjà dans l’ombre, tandis que les flancs de montagne alentours sont encore en pleine lumière.

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« De ce côté, dit Johnson, c’est le Barranco Wall. C’est une ascension difficile qu’on fera demain matin. L’après midi c’est du gâteau. Maintenant tu dois recommencer à t’alimenter, sinon tu vas t’affaiblir de plus en plus. Comme tu n’es pas entraînée, il faut que tu écoutes les conseils de ton guide. »

Quand le repas arrive, je fonds en larmes. Je ne peux pas manger. C’est comme si on me forçait à manger de la corde sèche ou du bois. Mon guide insiste. Je me fâche. Qu’est-ce qui m’arrive? On dirait que je suis folle. Johnson me rassure: « C’est l’altitude, ne t’occupes pas de tes émotions ou de la façon dont tu me parles. Force toi à manger, c’est tout, ou demain tu devras redescendre.

Il me laisse finalement tranquille, et je mâchonne deux trois carottes en pleurnichant. C’est dur de monter seule. J’ai vu des groupes passer, ils s’encouragent lorsque l’un d’eux est à la traîne.Ils bavardent, se massent, partagent des barres énergétiques, se sourient. Allons, allons, me dis-je en m’emmitouflant dans mon sac de couchage, j’aurai encore plus de mérite. Je suis une aventurière oui ou merde.

Mieux vaut s’endormir avant de répondre.

le Kibo vu du Barranco camp

le Kibo vu du Barranco camp

J14: Machame-Shira Camp

Changement de décor

Réveil difficile. Des crampes intestinales étranglent mon enthousiasme. Au petit déjeuner, Johnson me lance de grands sourires et des mots encourageants qui me donnent l’élan pour se mettre en route. Je sens que la journée va être difficile.

La lande se fait plus rase, la bruyère arborescente cède le terrain aux immortelles à fleurs blanches et les lobelias font leur apparition.

bouquet d'immortelles

bouquet d’immortelles

lobelia et immortelles

lobelia et immortelles

J’avance lentement et multiplie les arrêts, pliée en deux par des contractions douloureuses; Johnson, patiemment, s’adosse à un rocher en mâchouillant des brins d’herbe. J’avance si lentement que nous observons les trekkeurs nous dépasser, tantôt un marcheur solitaire, tantôt un joyeux groupe aux accents germanique ou américain. Ils nous saluent courtoisement, comme on fait en montagne, et je laisse le soin à mon guide de répondre. En quelques minutes, l’écho des marcheurs disparaît, et je suis seule au monde avec mon guide, dans cette immensité silencieuse. J’ai de sérieux doutes sur le succès de mon entreprise.

Finalement, des récits d’ascension, il en foisonne sur les blogs. Je les ai lus, ils sont tous confiants, enthousiastes, et enfin vainqueurs et ravis. Pourquoi ça ne se passe pas comme ça pour moi? D’abord parce que je ne suis pas une sportive, et la haute montagne ne fait peur. Johnson ose soudain me faire part de sa réflexion:

« Ton mal vient de ta peur.

– Je n’ai pas peur.

– Tu as peur, tu l’as dit toi même. A cause des morts de la semaine dernière. A cause de l’inconnu au-dessus de 3000 mètres. Tu t’inquiètes trop. Ça va bien se passer.

– Qu’est-ce que je dois faire?

– Marche. »

Alors je marche, en essayant de prendre sur moi pour m’arrêter moins souvent. Johnson me fait boire beaucoup. Enfin il annonce la pause déjeuner. Je vois bien qu’il a changé d’attitude. Hier il me demandait régulièrement si j’avais faim, si je souhaitais faire une pause, mais aujourd’hui il prend les décisions sans me consulter. Je sens qu’il me prend en main et cela me soulage.

corvus albicollis

corvus albicollis

Quel silence. C’est en même temps agréable et inquiétant. Malgré leur apparence sinistre, je suis contente de la visite de corbeaux à nuque blanche. J’ai toujours aimé les corvidés. Ils ont l’œil aiguisé des rapaces-rois mais la robe humble de ceux qui préfèrent dissimuler leur intelligence. Leur cri appellent la mélancolie des novembres brumeux dans les champs en repos. Ici ils sont les maîtres, et nous de fragiles organismes bouleversés dans nos habitudes.

Nous sommes à une crête, et le paysage s’étend à n’en plus finir. Je demande à mon guide si notre destination est visible à l’horizon.

« Non, c’est encore derrière. Il faut repartir, pour ne pas arriver à la nuit. »

De ce début d’après midi au coucher du soleil, je n’ai plus de souvenir. Il me semble qu’à un moment, devant la difficulté de la situation, j’ai dû mettre mon esprit en veille, et me contenter de mettre un pas devant l’autre, puis l’autre, puis l’autre. Dernière arrivée au camp, je me suis immédiatement endormie dans la tente déjà montée depuis longtemps par les porteurs qui nous devançaient. Une paire d’heure plus tard, j’ai pu encore échanger quelques histoires avec les porteurs, mais comme l’apparition du sommeil à 3800 mètres est brusque et sans appel!

Au lieu des six heures habituelles pour parcourir la distance entre le Machame et le Shira Camp, j’en ai mis neuf…

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Un regard inquisiteur